L'histoire :
Dans son appart miteux de vieil anarchiste célibataire, Pierrot prend un café et se met sur son 31. Il embarque dans sa guimbarde rouillée, recouverte de fientes de pigeons et de PV de stationnement, puis démarre en trombe. Il passe prendre son pote Mimile dans sa maison de retraite. Car aujourd’hui est un jour important : c’est l’enterrement de Lucette. Evidemment Mimile a oublié ce rendez-vous. En plus, il n’a pas de costard. Les papys prennent donc une heure de retard dans le dentier et arrivent après la cérémonie de crémation, à l’heure où toute la famille se retrouve pour un buffet dans le jardin. Leur pote Antoine, désormais veuf, n’est guère surpris de les voir débarquer pour l’apéro. Il les connait ses loustics. Il est quand même bien content de les retrouver et il leur demande de rester quelques jours car le lendemain, il a rendez-vous chez le notaire pour la succession et… une inattendue lettre testamentaire. En attendant, ils évoquent ensemble leur passé commun, du temps où ils étaient syndicalistes et rebelles dans l’usine pharmaceutique Garan Servier. Du temps où Lucette montait son petit théâtre de marionnettes baptisé « Le loup en slip ». Mais le lendemain, Antoine rentre en vrac de chez le notaire, avec le visage fermé. Il attrape un fusil et repart aussitôt pour « faire un petit voyage », direction la Sardaigne, lieu de résidence du vieux Garan Servier…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Au fil des années, « Le Lupano » est devenu une valeur sûre et ce n’est pas l’entame de cette nouvelle série qui va contredire ce postulat. Les 54 planches de ce premier tome mettent majoritairement en scène une poignée de petits vieux et cela ne les empêche pas d’être bouillonnantes de vie. Ces papys héros, tendrement baptisés Vieux fourneaux, ont en effet conservé suffisamment d’idéaux et d’énergie pour se lancer, l’un dans une vengeance suicidaire, les autres dans une tentative d’apaisement du premier. Tout découle de la mort et d’une lettre testamentaire de Lucette, une héroïne absente et paradoxalement terriblement présente. Au gré de leurs pérégrinations, le scénariste évoque judicieusement leur jeunesse, reconstruit leurs liens d’amitié et d’amour, leur engagement syndical et les ressentiments envers un patron pourri. Ce faisant, Wilfrid Lupano prouve son grand talent pour les dialogues truculents et balancés, avec un sens de l’a-propos et beaucoup de fond. Car si l’intrigue mouvementée post-vaudedevillesque et la personnalité pittoresque des papys héros font déjà beaucoup, le scénariste assène surtout une foule de discours sociétaux parfaitement pertinents. C’est l’ingratitude capitaliste, la revanche ouvrière, l’importance du lien social, mais aussi le lègue de tous les fléaux du monde moderne par une génération de soixante-huitards consommateurs décomplexés (cf. la tirade de Sophie p.38). Et pour encore ajouter de la vie dans les caricatures, le dessin semi-réaliste vif et détaillé de Paul Cauuet insiste sur l’expressivité de ces personnages décidément très attachants. La dernière page refermée, après avoir profité d’une première intrigue pétillante et déjà bien complète, on se réjouit qu’il ne s’agisse que d’un tome 1…