L'histoire :
Heaven’s Estate est une « gated city », c’est à dire un vaste territoire où de richissimes américains se sont regroupés au sein d’une communauté qui leur ressemble, en vase clos, protégés du monde extérieur. Derrière les hauts murs et les grillages électrifiés de ce domaine situé dans une crique paradisiaque de la côte ouest des USA, ces bonnes gens partagent leur temps entre le terrain de golf et leurs somptueuses résidences. La communauté tolère toutefois de rares livraisons de matériels venus de l’extérieur. Pour ne surtout pas se casser la tête, tous les livreurs ou ouvriers latinos rencontrés s’appèlent alors « Pancho »… Bref, Heaven’s Estate ressemble presque au « paradis ». Jusqu’au jour où un fils à papa complètement azimuté, passionné par le 3e Reich, décide d’organiser pour ses petits camarades une mise en scène en costumes d’époque. La culture générale et la nonchalance sont telles parmi ces ados, que tous s’exécutent bêtement sans trop en comprendre la raison. Les croix gammées tendues pour décor, ils prennent une photo de groupe et décident de sabrer le champagne avec une mitraillette…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ne vous fiez pas à la couverture aux allures de Village people, ce one-shot n’a rien à voir avec une fiesta gay… Au sein du Heaven’s Estate (traduisez littéralement « l’état du paradis »), cette réunion malsaine de jeunes issus d’ethnies différentes, semble être une métaphore du capitalisme mondialisé… mais un peu maladroite. Dans le même registre que Partie de chasse (avec Enkie Bilal), Pierre Christin verse cette fois dans la surenchère pour critiquer les gated city. Si ces domaines autarciques avec police privée, check point à l’entrée et caméras de surveillance peuvent être - à raison - considérés comme des déviances de civilisation pour nantis capitalistes, était-il besoin, pour les dénoncer, d’introduire dans le récit des résurgences nazies, du racisme latent et de la bêtise congénitale ? Bien entendu, ce cocktail détonnant va s’enfoncer dans une spirale infernale, jusqu’au paroxysme final qui n’est pas sans rappeler la conclusion de l’excellent Lune de Guerre (Van Hamme/Hermann, chez Dupuis). Certes, le dessin d’Alain Mounier est – comme souvent – un modèle de mise en scène réaliste issu de l’école franco-belge et la colorisation de Jean-Jacques Chagnaud est toujours impeccable. Mais à trop charger la barque, Pierre Christin peine à rendre crédible son récit. Si en soi le propos est intéressant, la fiction aurait pu être moins « lourde ». Dans le genre « critique d’un monde ultra sécuritaire », préférez le roman d’Ira Levin Un bonheur insoutenable, plus subtil. Comme le dit si bien le seul couple à peu près normal de cette histoire : « C’est l’Amérique, le meilleur et le pire ».