L'histoire :
L’Empire est à son apogée, aucune armée ne saurait lui faire face et toutes les terres connues sont désormais sous sa domination après la chute de l’armée du Moyen-Orient. Mais peu à peu, les soldats sombrent dans l’ennui et la lassitude de la victoire facile. L’Empereur décide alors d’envoyer une troupe d’élite loin, plus loin que le désert, à la recherche du bastion Omega, coupé de sa base depuis des années. C’est là que la redoutable légion va finalement rencontrer le doute, la fraternité, la souffrance des corps et des âmes, mais aussi la peur...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Changement d’éditeur (de KSTR à Dargaud), de format et de registre pour le talentueux Bastien Vivès, primé à Angoulême en 2009 pour Le goût du chlore et désormais attendu à chaque parution. Habitué des one-shot intimistes, Vivès explore cette fois-ci les territoires graphiques du péplum dans un duo à quatre mains avec Merwan Chabane, jeune auteur (lui aussi) dont les premiers albums ont séduit un large lectorat. Voilà un album singulier et très convaincant, qui risque d’en dérouter plus d’un. Le charme de ce premier volet réside dans sa capacité à bousculer certains codes narratifs et graphiques de l’art séquentiel, en s’affranchissant notamment de tout repère spatial et/ou temporel précis. L’absence de toponymie et la suspension du récit hors du temps confèrent à la narration mystère et liberté. La qualité de l’opus réside moins dans le scénario, tout à fait classique, que dans son traitement. A mille lieues de l’emphase et de l’urgence d’un Frank Miller dans 300, les auteurs parient ici sur la lenteur et l’attente. Moins soucieux de cohérence historique que d’expérimentation formelle, ils creusent un sillon tout à fait original, celui de l’épopée tranquille, sûre de son fait et de sa victoire. Etrangement, ce premier tome n’est pas sans rappeler le Rivage des Syrtes de Julien Gracq, « roman du mouvement de l’attente vers l’événement », questionnant l’identité individuelle et collective face à l’inconnu, par delà les frontières. L’étranger étant un obstacle nécessaire à la construction identitaire du groupe, dans la mesure où il nourrit ses valeurs collectives. Côté graphisme, si le trait peut paraître à certains enfantin, évasif ou minimaliste, il brille en revanche par son épure et sa sobriété, laissant place à un syncrétisme des couleurs, d’une expressivité remarquable, tout en nuance (scènes de coucher de soleil magnifiques). Economie des moyens et décors dépouillés viennent ponctuer un récit novateur et plutôt déroutant. Il faut donc saluer l’audace narrative et graphique de ces deux auteurs dont le style maîtrisé témoigne d’une grande maturité, malgré une prise de risque permanente. Dans le paysage actuel, peu d’auteurs présentent une identité graphique aussi nette et puissante. Transcendée par son idéal, l’armée ne cesse d’avancer, sûre de sa force, à l’image de la grammaire formelle des auteurs. Les avis risquent d’être tranchés…