L'histoire :
L'hiver 1638, l'artiste peintre Artemisia Gentileschi entreprend un voyage de Rome vers Londres, pour y retrouver son père, lui aussi peintre, qui lui a jadis transmis son savoir-faire et son talent. Durant le trajet en carrosse, à travers des paysages vallonnés et enneigés, sa fille Prudenzia ne cesse de l'interroger. Elle veut comprendre comment elle, une femme, a réussi à s'imposer dans un microcosme artistique particulièrement phallocrate. Comment a t-elle réussi à devenir la première femme à entrer à l'académie des arts ? Artemisia évince systématiquement la transmission de ses souvenirs. C'est finalement la nourrice Marta qui commence à lever discrètement quelques pans de la vie d'Artemisia auprès de sa fille. En 1606, à l'évoque où le Caravage était condamné à mort, Orazio Gentileschi commençait à être un artiste romain réputé. En marge de ses travaux de commande, il tentait d'inculquer son art à ses deux fils. Mais c'était sa fille aînée qui montrait le plus de disposition pour la préparation des pigments et le mélange des couleurs. Elle n'en démordait pas : un jour, elle serait une grande peintre. Étant donné qu'elle était une fille, elle n'en ferait hélas rien, pensait son père. Et chaque nuit, tandis que son père allait se saouler, elle poursuivait ses propres œuvres à la bougie, au grand bonheur de l'œil paternel, au petit matin. En 1611, Orazio montre quelques toiles d'Artemisia à un confrère, Tassi. Celui-ci lui reconnaît un talent certain concernant les personnages, mais ses décors mériteraient une formation. Il se propose de lui apporter... avec une autre petite idée derrière la tête...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Raconter la vie d'Artemisia Gentileschi, c'est assurément faire œuvre biographique sur une grande artiste peintre italienne du XVIIème siècle, mais aussi proposer le portrait d'une grande figure du féminisme. « Artemisia » a en effet donné son prénom au prix décerné chaque année à un album de BD remarquable réalisé par une (ou des) femme(s). Peut-être Artemisia recevra y-il d'ailleurs le Prix Artemisia ! Au scénario, Nathalie Ferlut propose une narration aux petits oignons (comme toujours), au verbe soigné, alternant un fil rouge au présent (le voyage d'Artemisia, adulte, vers son père) et des flashbacks sur les différentes étapes de son combat de jeunesse pour être reconnue en tant qu'artiste femme. Si la lutte contre les discriminations sexuelles reste de nos jours un combat, rappelons qu'à l'époque, être femme ET avoir du talent était une hérésie ! On découvre Artemisia dans son milieu familial particulier, qui met ses pas dans les pas d'un père à la fois fasciné par sa fille et lâche face aux réalités de sa condition. Au rythme des coups durs (viols répétés, humiliations publiques, apprentissage alambiqué...), ou des coups de mains (la protection de la grande-duchesse, le soutien du neveu de Michel-Ange), on cerne bien la mentalité de l'époque. Et on comprend, par la grandeur d'âme et la force de caractère de cette femme, que le personnage soit devenu un symbole, une grande figure du féminisme. Le dessin de Tamia Baudouin se situe dans le registre graphique ad hoc des portraits réalistes à l'ancienne, mais avec d'étonnantes irrégularités dans la finition. Globalement la composition des cases, les teintes, les cadrages sont justes, avec souvent des décors et surtout des costumes hyper soignés... mais dans le détail, les mains ou les visages empruntent très souvent des traits naïfs, les proportions et les perspectives fluctuent. La couverture est un bon exemple de ces forces et de ces limites. Précisons que Tamia Baudouin n'est pas la fille d'Edmond Baudoin (d'ailleurs, leurs patronymes ne s'écrivent pas pareil).