L'histoire :
A la sortie de son école de banlieue orléanaise, Fabien lance une course jusqu’au gros chêne. Premier arrivé, il tombe nez à nez avec un enfant trisomique, qu’il salue gauchement. Ses copains le suivent de peu et, sans hésiter, tombent avec sadisme sur le « mongolien ». Fabien observe de loin : « Hé, fais gaffe ! Il paraît qu’ils sont dangereux. Il va t’attraper à travers le grillage et il va te mordre ». Les trois gosses partent en courant, laissant le gamin en pleurs. Bien des années plus tard, au Brésil, Fabien et sa femme attendent un deuxième enfant. Ils se rendent à la première échographie, confrontation à l’éventualité d’une malformation génétique. Malgré les résultats positifs et les propos rassurants du médecin, il est envahi d’une inquiétude tenace. De retour en France, les examens se suivent et se ressemblent, mais l’angoisse s’installe irrémédiablement. Et lorsque sa fille voit finalement le jour, l’anxiété cède la place à l’effroi. Le visage de Julia en dit bien davantage que les paroles tranquillisantes du personnel hospitalier.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Un titre froissant voire glaçant, atténué par le revers de la couverture que l’on ouvre à la lecture : « Mais je suis content quand même que tu sois venue… ». Le ton de l’album est donné. Dans une sincérité surprenante et un humour qui met une claque à tout misérabilisme, Fabien Toulmé entre avec ce premier one shot dans la sphère explosive de la bande dessinée autobiographique. Comme un Rousseau dans son Pacte (« Voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise »), il semble nous raconter sa tumultueuse deuxième paternité dans sa plus grande nudité. Le graphisme simple, informatisé, atteint d’une succession chromatique devenue classique, et le découpage sans surprise, invitent à observer davantage le thème abordé. Sans prétention graphique ou narrative, donc, le cœur du récit est à chercher dans la réaction brute et brutale d’un homme esclave de ses émotions. De l’inquiétude de la maladie, d’abord, qui ne cherche pas à jouer sur le suspens d’une révélation, déjouée dans le titre. De l’incapacité ensuite à aimer une fille qui est la sienne. Tabou social qu’il ne cherche pas à détourner, bien au contraire. Parcourant l’espace intime de ses fragilités, l’auteur nous oblige à nous interroger sur les nôtres, dans une confrontation frontale au handicap. Et enfin, il nous rassure : la société ne l’emporte pas sur tout. L’homme souffrant devient père aimant et le récit se transforme en manifeste de tolérance. Les photos finales de Julia, dont on questionne cependant la pudeur, renvoient à une réalité que le dessin atténue, et nous engagent à accepter la diversité de notre monde.