L'histoire :
En 1794, la terreur s’est répandue à toute la France et en Vendée. Les Blancs, partisans de la monarchie, s’opposent aux Bleus, soldats de la République. La répression est sanglante. Les meurtres se multiplient, dans les deux camps. Varenne, un jeune officier de la République, rêve à Nantes d’une paix républicaine. Mais il repense aux heures sombres, trois mois plus tôt, de la bataille de Savenay, une véritable boucherie. Il devait escorter au lendemain de la bataille, des jeunes femmes à Nantes pour être jugées. Il s’était opposé à une exécution sommaire, avec son ami, un indien Mohawk nommé Uncas. Réveillé en sursaut, le jeune homme qui attend sa mutation sur le front du Nord est appelé par le général, qui le fait déchanter. Il s’agit pour Varenne et Uncas de partir à la recherche d’un colonel porté disparu, un certain Scherb. Lancé dans les marais à la poursuite des rebelles après la bataille de Savenay, il n’a jamais rejoint les lignes. Pire, le rapport du général apprend à Varenne que Scherb, avec l’aide d’esclaves noirs qu’il a affranchis lui-même en exécutant l’armateur, aurait passé un accord avec les habitants des marais et règnerait désormais sur le « royaume » de la Brière…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Au cœur des ténèbres est une nouvelle de Joseph Conrad parue en 1889. Elle raconte le voyage d’un jeune officier de la marine marchande britannique embauché par une compagnie belge. Le jeune homme remonte le cours d’un fleuve de l’Afrique noire à la recherche du directeur d’un comptoir au cœur de la jungle. Celui-ci, devenu fou, règne avec une sauvagerie animale sur une troupe d’anthropophages… Tout le monde connaît son adaptation cinématographique, le chef d’œuvre de Francis Ford Coppola, Apocalypse Now, palme d’or à Canne en 1979, qui fête cette année ses 40 ans. Coppola avait transposé la nouvelle dans l’horreur de la guerre du Vietnam, avec le crâne rasé de l’immense Marlon Brando en clair-obscur. Jean-Pierre Pécau adapte lui aussi le récit au cœur d’une guerre folle et d’une grande violence : la révolte vendéenne pendant la Révolution Française. Les Chouans livrèrent une guérilla de tous les instants dans des contrées reculées, souvent arriérées, marécageuses… Le colonel disparu ne s’appelle plus Kurtz mais Scherb, rescapé d’une embuscade à Savenay en 1794, année où il disparaît et où des rumeurs le donnent régnant sur un royaume de marécages à l’aide d’une armée de volontaires noirs… Pécau est allé chercher dans l’Histoire de France ces noms bien réels, puisque le colonel Scherb a effectivement servi à Savenay avant, lui, de continuer sa carrière et d’être décoré par Napoléon de la légion d’honneur en 1804. Son récit est plus proche à certains égards de l’adaptation cinématographique que du récit original, notamment à la fin. Mais c’est sans aucun doute une belle réussite, car il choisit d’utiliser une trame narrative qui s’appuie beaucoup plus sur l’image et laisse la part-belle aux envolées noires de Benjamin Bachelier, qui ne servira de couleurs, forcément assez primaires, que vers la fin du livre, rappelant les Blast de Manu Larcenet. Le tout dégage une ambiance malsaine, lourde, menacée par l’Anjou et la folie tout au long de l’album. Impossible de la lâcher avant d’avoir terminé. Un grand plaisir.