L'histoire :
Nous sommes le 4 janvier 1915, en campagne allemande, non loin de Cologne. Le professeur Haber observe le vol d’un rapace dans le ciel. Le scientifique est venu tester son nouveau gaz au centre d’expérimentation de l’artillerie de Wahn. Au passage d’un nuage anormalement lourd, le volatile succombe et tombe, terrassé. Une voiture se présente. Le major Bauer en descend, porteur de bonnes nouvelles. L’opération « Désinfection » a été avancée. Le site a aussi été choisi : ce sera Ypres, en Flandres. Trop de réserves quant à la « bassesse » du procédé sont émises au sein de l’Etat-major pour que le front oriental du conflit ait été retenu. Ce sera donc la Belgique, supposée offrir de meilleures conditions météorologiques que la France. Sous la supervision conjointe du docteur Hase, l’expérience permettra de faire progresser de même les connaissances en médecine, agronomie et dans le domaine sylvicole. Finalement, Bauer et Haber tentent une approche au plus près – une traversée ? – du nuage. Les chevaux n’en réchappent pas ; leurs cavaliers en seront quittes pour quelques semaines d’hôpital. Arme de guerre nouvelle, le gaz du professeur Haber promet…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
D’abord objet de curiosité, le biopic consacré au chimiste juif allemand Fritz Haber par David Vandermeulen a rapidement gagné ses lettres de noblesse et – bien qu’encore trop méconnu – ce troisième album concourt aujourd’hui pour le Grand Prix d’Angoulême 2011. Et ce n’est que justice. Cinq ans se sont écoulés depuis les débuts de la série mais, en raison sans doute du travail monumental de recherches historiques, de déclinaisons graphiques, d’ajustements nécessaires, etc. il aura fallu ce temps pour arriver à l’année 1915, au premier hiver de la guerre, au milieu du guet (cinq albums sont en effet annoncés). Avec Un Vautour, c’est déjà presque un aigle, l’intrigue entre dans le vif du problème : l’utilisation nouvelle des gaz dits « moutardes » au cours du premier conflit mondial. L’originalité et la force incontestable du titre sont de (re-)plonger le lecteur dans une époque qui nous est désormais étrangère, ou presque. Les esprits éclairés croient alors aveuglement dans les progrès d’une science, gage de modernité. L’entrée en guerre, non plus d’armées mais des sociétés entières, jusqu’aux enfants conditionnés, est parfaitement rendu par David Vandermeulen. De même que les discours sophistes des élites, excusant les horreurs nouvelles ; que la question nationale allemande fondée sur la langue, le sang et maintenant la religion (en réaction aux Juifs) ; que la clairvoyance minoritaire de figures tel Albert Einstein appelant dès cette année 1915 à une « Ligue des Européens » contre une guerre « qui ne laissera vraisemblablement que des vaincus » (sic). Une cicatrice profonde se dessine… D’une richesse et profondeur exceptionnelles, cet album offre en outre deux scènes gestuelles aux allures d’opéra, ajoutant encore à la majesté de l’ensemble. « Voyez comme se mue notre monde actuel, les choses changent, chaque guerre désormais est une guerre que l’on pourra mener contre l’âme du soldat et non plus contre son corps ! Ma nouvelle arme sapera le moral car elle est précisément nouvelle ! Ce sont des armes comme celle que je propose, qui n’ont pas été expérimentées, qui seront craintes » (F. Haber p.56). Selon le mot de P. Valéry, nous autres, civilisations, saurons pourtant bientôt que nous sommes mortelles…