L'histoire :
Dans l’Argentine des années 80, comme chaque midi, Elvio Gustavino se hâte d’aller rejoindre sa tendre fiancée, sa Luisita : une poupée qui trône dans la vitrine d’un petit antiquaire de la rue voisine. Il économise patiemment pour tenter de la soustraire à l’avide commerçant. Il se prive de tout, néglige son travail et pire : laisse sa mère impotente mourir à petit feu. Elle doit, en effet, se contenter de biens maigres festins et s’endort gavée de tranquillisants pour laisser à son fils le loisir de rejoindre à la nuit tombée l’élue de son cœur. Ce soir, pourtant, Luisita le provoque en salissant la mémoire de son défunt père, un militaire zélé de la junte. Elvio se souvient alors que ce capitaine ramenait du travail à la maison : d’abord un entraînement sur poupée pour perfectionner les techniques de son labeur quotidien de tortionnaire ; ensuite le passage à la pratique sur jeune militante communiste avec sévices sexuels à la clef. Le lendemain, en se rendant au ministère, notre petit fonctionnaire croit justement reconnaître la jeune femme que son père torturait il y a quelques années. C’est bien elle qui se rend, effectivement, chez les Gustavino pour présenter l’addition. La pauvre veuve n’y résiste d’ailleurs pas. Ce jour là, Elvio perd une mère mais gagne le gros lot : l’argent d’une assurance vie et donc sa poupée…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Malsain à souhait, l’ouvrage qui nous est proposé par Carlos Trillo et Lucas Varela a été façonné à la gégène, aux tenailles et au couteau… Pour évoquer les années noires de la dictature argentine, les deux auteurs choisissent de nous déranger et pour ce faire, les coquins masquent très subtilement leurs intentions. D’abord, un dessin bon enfant : clair et coloré, au trait quasi caricatural, qui met immédiatement en confiance. Un graphisme qui évolue à mesure que le malaise augmente et que le piège se ferme sur le pauvre lecteur. Ensuite, la mise en situation des personnages, qui souvent paraissent grotesques et dont on s’amuse facilement. Comment ne pas se moquer d’un petit fonctionnaire, de surcroit amoureux d’une poupée ? Mais si l’on n’a pas pris le soin de parcourir l’indispensable préface, on est vite pris dans la tourmente du récit, un peu comme le lapin dans le faisceau des phares est bientôt dégommé. De grotesques, les situations deviennent rapidement insupportables, d’autant plus qu’on les suit du mauvais coté. Celui du pervers sexuel, du tortionnaire… On fait alors corps à corps avec l’inhumanité. Seule la vieille veuve impotente nous permet de surnager dans cet univers cauchemardesque à souhait. Plutôt que de livrer un petit documentaire plat et convenu, les 2 argentins ont choisi un récit atypique et décalé. On aime ou pas, mais on ne reste pas indifférent…