L'histoire :
En 1926, le journaliste-écrivain Albert Londres prend le bateau et rencontre une vieille connaissance : Angelito Polimeni. Ce dernier s’intéresse à l’ouvrage que prépare Albert Londres : après un recueil sur la condition des prostituées françaises à Buenos Aires, Le chemin de Buenos Aires, le journaliste prépare un témoignage sur la vie de la prostituée française Mireille. Il raconte à Angelito son passé en Argentine et sa rencontre avec cette belle femme aux mœurs dissolues. Sous les ordres du proxénète Boyer, Mireille rayonne dans son métier si particulier et fait le bonheur des gens hauts placés. Beaucoup de monde gravite autour de Mireille. Albert comprend rapidement que se tissent des relations spéciales entre Mireille et certains de ses clients. Les choses basculent quand on découvre le corps du juge Ibargarain, assassiné quelques heures à peine après avoir eu une relation avec sa fille de joie préférée : Mireille…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La publication posthume de cette bande dessinée met à nouveau en avant (et s’il en était besoin) le talent du regretté scénariste Carlos Trillo. Incroyable touche à tout, Trillo pouvait passer allègrement d’un imaginaire à l’autre : du polar à la science-fiction, par exemple. Il est surtout renommé pour ses sujets sociopolitiques engagés et dérangeants sur son siècle et son pays. La Française est une peinture sordide du commerce des femmes et du marché humain en Argentine, à travers la prostitution (malheureusement devenue un système à grande échelle aujourd’hui). Trafic illégal d’êtres humains, immigration clandestine, embrigadement de femmes mineures et naïves… Les tableaux de la misère humaine, des quartiers malfamés argentins et de la débauche organisée pour survivre, sont crus et d’un réalisme saisissant. Pourtant, Trillo n’en fait pas exactement un brûlot, mais plutôt une histoire policière à suspense et rebondissements. Le premier tome (sur deux prévus) est l’occasion d’admirer l’art narratif de l’auteur : les flashbacks d’Albert Londres sont autant de galeries de portraits fascinants, de la prostituée polonaise exilée au journaliste raté, en passant par le violent proxénète ou la police corrompue… La narration s’éclaire au fur et à mesure des déductions d’Albert qui parvient à voir clair dans les motivations secrètes des personnages. Certains passages sont d’une poésie discrète et pleine de finesse, où l’amour secret transparait au milieu de rapports humains bestiaux et sans âme. Les dialogues sont savoureux et remarquable de style. Le dessin est certes un peu déstabilisant, par rapport au ton de Carlos Trillo, mais la griffe légèrement caricaturale de Pabintelo Tunica colle finalement à la plume acerbe du scénariste. Les couleurs finissent de planter l’ambiance de ce début de XXème siècle, dans les quartiers populaires d’Argentine. Au final, Trillo valorise l’action authentique de ce journaliste français engagé de l’époque, tout en se substituant à son personnage principal pour dénoncer un esclavagisme moderne, au nom du sexe et de la luxure à petit prix. Un polar historico-social, à découvrir…
