L'histoire :
Ce matin là, quand Gregor se réveille dans son lit, il a une impression bizarre. Il n’est plus le même, il est devenu durant la nuit… un cafard. Un horrible cafard, noir, immonde, géant, avec des antennes démesurées, des mandibules à la place de la bouche, un abdomen pesant une tonne et trois paires de pattes. Au début, il croit à un mauvais rêve : il a du prendre une mauvaise position pour dormir, qui provoque des hallucinations. Mais lorsque sa sœur et ses parents s’inquiètent de ne pas le voir sortir de sa chambre et commencent à toquer, il lui faut se rendre à l’évidence : il peine à se retourner et à tourner la clé dans la serrure à l’aide de ses mandibules. Evidemment, le choc est violent auprès de ses proches. Ils savent que la vermine géante qui se trouve devant eux est Gregor, car l’insecte leur parle avec la voix de Gregor… Aux côtés de ses parents, se trouve aussi le gérant du magasin de tissus dont il est le commis. Ne le voyant pas à son poste ce matin, ce dernier était venu demander des comptes. S’excusant, Gregor tente de s’approcher de sa mère, ce qui provoque une véritable panique dans la maison. Repoussé dans sa chambre à coups de balais, il récolte une blessure au flan et une patte en moins…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après Dans la colonie pénitentiaire, La métamorphose est déjà le deuxième classique de Kafka à être adapté en bande dessinée au sein de la collection ex-libris. Etonnement, le duo d’auteur qui s’attèle à cette retranscription stricto-sensuelle (pour répondre au cahier des charges) est celui qui a terminé le Maître de jeu (cycle parallèle au Chant des Stryges), à savoir l’incontournable Eric Corbeyran et Horne. Notons au passage que c’est la première fois que l’ultra-prolifique Corbeyran collabore avec son concurrent direct en termes quantitatifs, à savoir Jean-David Morvan, directeur de la collection Ex-libris. Mais revenons à nos cafards. Les aspects spectaculaires, inhérents à la condition de cafard géant, ne sont pas l’objet de l’œuvre littéraire d’origine, fondatrice dans le genre fantastique (ce court récit a inspiré le film la Mouche de Cronenberg). L’inexpliquée métamorphose de Gregor est un prétexte à une métaphore sociale permettant de cibler le rejet de la différence. Majoritairement narrée en voix-off, extérieure, l’exclusion haineuse dont est victime le héros s’accompagnera de culpabilité, d’espoir, de désillusion et d’un terrible sentiment de trahison… Logiquement, Horne a abondamment couvert ses planches d’encre de chine : le noir est la couleur prédominante. L’ambiance est évidement sordide à souhait, sombre au possible… on a même l’impression qu’il s’agit d’un one-shot en noir et blanc. Il est surtout très habile de la part des auteurs d’avoir rythmé cette introspection angoissante sans la moindre lassitude, étant donné que tout se passe en huis-clos dans une seule chambre (et un peu alentours), qui plus est progressivement dépouillée de son mobilier. De même, le découpage et les cadrages s’affranchissent systématiquement des gaufriers classiques, pour s’entasser et se superposer, de biais, comme pour renforcer le sentiment de malaise, de nausées. Une nouvelle fois, une adaptation réussie, parfaitement dans le ton, qui offre un regard extrêmement pessimiste sur le genre humain.