L'histoire :
Séverin a passé un pacte des plus particuliers avec la superbe Wanda Von Dunajew : il sera désormais le serviteur esclave de tous les désirs de sa dame et s’appellera désormais Grégor. Wanda ne laisse rien passer à son domestique et elle le punit de façon extravagante dès qu’il arrive en retard ou qu’il commet des maladresses. Wanda aime rendre jaloux Séverin en recevant des sommités chez elle : le baron Von Nemmersdorf ou encore le comte Wezlszevski. Cependant, leur relation évolue petit à petit, quand Grégor commence à se rebeller. Constamment tiraillé entre le désir de se soumettre à sa maîtresse et celui de lui avouer son amour, Séverin entretient un plaisir immense et infini dans cette relation trouble.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Delcourt a eu la bonne idée de remettre au goût du jour des classiques de la bande dessine érotique. Or dans ce domaine, l’auteur italien Guido Crepax tient une grande place. La Venus à la fourrure, initialement publiée en 1984 chez Albin Michel, est une adaptation du célèbre livre sulfureux éponyme de L. Von Sacher Masoch. Sacher Masoch (comme son prédécesseur Sade) est le premier à décrire l’homme qui se soumet et qui prend plaisir à cela, inversant les stéréotypes sur la virilité. Il a d’ailleurs donné son nom au mot « masochisme ». Crepax adapte donc ce roman avec le talent qu’on lui connaît. Avec un profond respect de l’œuvre originelle, l’auteur décrit en chapitres fragmentés cette relation décousue. On assiste à une véritable recherche du plaisir dans l’extrême : les coups de fouet de Wanda se font de plus en plus durs alors que Grégor se perd à mesure qu’il découvre ses penchants. Plongée trouble du désir à travers un duo inédit : une femme raffinée et élégante, mais désespérément seule, enseigne l’art de l’amour et du sexe à un homme qui a promis de se soumettre à tous ses caprices. Pourtant, la réalité est bien plus complexe et l’amour prend de drôles de trajectoires : en effet, on se demande qui est soumis à l’autre et qui y prend le plus de plaisir. Grégor semble totalement à la merci de Wanda, mais il provoque des situations où il éprouvera du plaisir, alors que sa maîtresse ne montre aucun plaisir et semble lassée de tout. Crepax mime parfaitement la descente progressive vers le sadomasochisme, relation trouble qui unit deux êtres prisonniers d’un code réglementé qui décuple leur plaisir et leurs expériences sexuelles. Les multiples jeux de souffrance et de jalousie vont-ils renforcer leur amour ou les éloigner irrémédiablement ? Véritable esthète de la sexualité, Crepax joue de tous les moyens graphiques pour rendre cette relation si particulière très poétique. Dans un noir et blanc feutré et des hachures du plus bel effet, certaines cases sont proprement sublimes. L’auteur italien décloisonne les cases et enchaîne les cadrages osés pour peindre la fascinante beauté de la Vénus moderne et bourgeoise et la soumission torve de son amant. Crepax représente ainsi une scène hallucinée et forte (qui serait certainement interdite aujourd’hui) où Wanda invite trois mulâtresses à fouetter et punir Gregor. Dans un ballet de corps inquiétant et psychédélique, une Noire bat Gregor pendant qu’une femme voilée fait une fellation à la victime ! Le tout est magnifiquement intellectualisé et Crepax rend en plus hommage à tous les arts (musique, théâtre, littérature…). Une œuvre forte et dérangeante, un chef d’œuvre d’intelligence et de modernité… enfin de l’art dans l’érotisme !