L'histoire :
L’anthropologue Frédéric Joulian, l’architecte Mathias Cambreling et l’autrice Aurélia Aurita embarquent pour une enquête anthropographique à Mayotte. Autrement dit, ils dressent une description graphique des activités humaines avant de faire des discours et ils sont réunis ensemble (le chercheur, le dessinateur et le praticien) sur le terrain. Les thèmes d’enquête sont des personnes, des faits sociaux et culturels, des relations. Ici, ils rencontrent des foundis (ceux qui transmettent un savoir-faire) : Conflit, Babali, Kolo, Loutfy, Attila, Faya et Monsieur Respect. Tous possèdent un savoir-faire pour l’utilisation du bambou et de l’éco-construction. Avec Conflit, un artisan de 45 ans, ils apprennent à tisser des feuilles de cocotier pour faire des assiettes, des paniers, des jupes, des toits. Kolo leur fait visiter sa bambousaie. Il enseigne à des jeunes du collège la construction d’habitats en bambou. Aurelia Aurita retrace aussi l’histoire de Mayotte et de ses sœurs, les îles voisines, du XVᵉ siècle à aujourd’hui. Avec ses deux autres compères, ils témoignent de la vie des habitants sur place, des Mahorais et des migrants, de la place des femmes et des enfants. La plupart des enfants des rues ont un père Mahorais. Beaucoup d’hommes de l’île entretiennent une relation extraconjugale avec une femme venue des îles voisines. Comme en mer Méditerranée, les traversées en bateau de fortune, souvent conduites par des enfants pendant des nuits agitées, font aussi de l’océan Indien un cimetière. À Mayotte, la pauvreté est un fléau avéré, délaissée par la métropole, elle est sous-financée et sous-équipée. Il manque cruellement d’usines de traitement des eaux : en période de restrictions, l’eau est coupée deux jours sur trois et un pack d’eau en bouteilles peut coûter jusqu’à 10 euros. À travers des témoignages, le lecteur apprend à connaitre Mayotte et ses habitants, son histoire et ses traditions, mais aussi son développement et son enseignement vers une construction responsable.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Matthias Cambreling, architecte diplômé de l’école de Marseille, est spécialisé dans les cultures constructives locales. Il se rend à Mayotte depuis plusieurs années pour monter une filière bois et bambou avec des acteurs locaux, dont « Bambou à Mayotte ». Frédéric Joulian, maître de conférences à l’EHESS, est anthropologue, archéologue, primatologue, ethnoarchéologue et ethnophotographe. Aurélia Aurita est une autrice complète de renom. Elle s’est fait connaître avec sa bande dessinée osée pour l’époque : Fraise et chocolat (en 2006). Elle a publié plusieurs titres biographiques, mais elle est aussi adepte de reportages dessinés, comme Lap ! Un roman d’apprentissage, sur un lycée autogéré de Paris. Après avoir suivi des études en pharmacie, elle a soutenu un master en anthropologie en 2023 sous la direction du même Frédéric Joulian. Elle mène de front plusieurs projets, plusieurs combats avec toujours beaucoup de justesse et de savoir. Elle réussit à travers ses illustrations à vulgariser des sujets scientifiques pour le commun des mortels. Tous trois enquêtent ici avec neutralité, ils laissent la parole à leurs orateurs et les mettent en valeur à travers ce qu’ils font et ce qu’ils sont. Cette BD documentaire est accessible au plus grand nombre en ce qui concerne la partie dessinée. Amorcer le récit par l’histoire de Mayotte est essentiel et indissociable pour la compréhension du sujet par la suite. Monter en parallèle les différents témoignages des foundis avec l’histoire contemporaine de l’île, les conséquences sur la population, les habitudes locales ainsi que certaines explications anthropologiques permet de comprendre la démarche de ces habitants. Pour aller plus loin, le dossier à la fin apporte des connaissances plus pointues sur les cultures constructives et le récit anthropographique. Une bande dessinée à transmettre à tous les futurs constructeurs.