L'histoire :
Pablos de Ségovie grandit en Castille au sein d’une famille de gueux particulièrement doués pour les arnaques, le système D profitable et l’enfouissement de tout scrupule. En clé de voûte de son éducation, l’adolescent retient un précepte paternel fondamental : tu ne travailleras point. Après bien des escroqueries, il se retrouve un beau jour à (fuir) embarquer sur un galion à destination des « Indes », en passant par l’Ouest – soit vers l’Amérique du Sud. A ce qu’il parait, c’est en cette terra incognita que se nichent l’aventure (donc la gloire) et l’Eldorado promis par des cités d’or (donc un enrichissement rapide et fastueux). Mais après une énième tricherie aux cartes lors d’une partie avec les marins, il est fichu par-dessus bord sans autre forme de procès. Il dérive plusieurs jours accroché à morceau de bois et accoste finalement sur un rivage tropical. Les africains qui l’accueillent sont des esclaves rescapés d’un naufrage. Ils hésitent un temps à zigouiller cet hidalgo, spécimen d’une race qui les a asservis… puis étant donné la capacité du zigue à les faire rire avec ses pitreries, ils le laissent finalement en vie. Deux bras de plus ne sont pas négligeables pour construire la petite communauté libre à laquelle ils aspirent. Mais Pablos a d’autres ambitions. Il les quitte en pleine nuit et longe la côte, espérant tomber sur un établissement de compatriotes. Et c’est ce qui se passe : il finit par être recueilli par des espagnols qui ont traversé l’Atlantique pour « défricher » dans le sang la vermine indienne…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Lorsque l’un des plus brillants dialoguistes du 9ème art s’associe à l’un des plus virtuoses dessinateurs du même artisanat, cela ne peut aboutir qu’à une œuvre d’exception. Pour Juanjo Guarnido, dessinateur réputé de Blacksad, spécialiste de la couleur directe, Alain Ayroles, scénariste de Garulfo et De cape et de crocs, a composé une folle et truculente aventure amérindienne au temps des conquistadors. Le format du bouquin est hors normes (25x34 cm), tout comme la pagination (160 planches !). Et le périple arnaqueur du filou don Pablos de Ségovie vaut son pesant de coco, avec ce qu’il faut de périls majeurs, de fresque humaniste, d’humour tout azimuth et de rebondissements qu’on n’avait pas vu venir. Ayroles n’a pas son pareil pour brouiller les pistes et néanmoins accrocher son lecteur autour d’une intrigue aussi précisément documentée dans son contexte que folklorique dans ses contrecoups. Il articule l’œuvre en trois chapitres, un prologue mystérieux et un épilogue lourd de sens, qui donnent coup sur coup un éclairage différent sur le cœur du récit, le tout ponctué de flashbacks permettant de mettre en place toutes les pièces d’un puzzle génial. Oyez donc, bonnes gens, la destinée de cet habile gueux, qui fraye cent fois avec la mort, se retrouve à côtoyer les pouilleux, et trouve néanmoins toujours un biais pour rebondir et re-booster son ascenseur social. Le pied-de-nez à la morale est jouissif, et en cela les auteurs sont réalistes sur la condition humaine. La mise en scène chatoyante de Guarnido n’est pas en reste, avec ses paysages grandioses, ses batailles détaillées, ses expéditions moites, ses salons cossus, ses villages sauvages, ainsi qu’une double planche d’anthologie sur le fantasme de l’Eldorado selon don Pablos de Ségovie, à faire pâlir de jalousie Esteban, Tao et Zia. Les indes fourbes est incontestablement l’œuvre de la rentrée 2019.