L'histoire :
Deux copains discutent à propos du dernier roman de Marc Levy, Elle & Lui. C’est forcément de la merde, puisque c’est de Marc Levy. Certes, ni l’un ni l’autre ne l’a lu, et ni l’un ni l’autre n’a jamais lu un seul bouquin de Marc Levy, d’ailleurs… Mais puisqu’il est de bon ton de trouver ses œuvres triviales, autant les éloigner à des années lumières des grandes œuvres littéraires. Et étant donné qu’ils n’ont pas aimé ce roman qu’ils n’ont pas lu, ça ne leur donne vraiment pas envie de lire les autres bouquins de Marc Levy…
Il en va (presque) de même avec le film Intouchable d’Olivier Nakache et Eric Toledano : le narrateur ne l’a pas vu, mais en revanche, il a bien aimé ! C’est obligé qu’il l’ait bien aimé, en fait. Parce que s’il le dénigre, il passe pour un snob méprisant (attention, pas touche aux noirs et aux handicapés !). Et en plus, ça lui permet de rester bien à distance de ces gens méprisables qui critiquent ouvertement cet excellent film…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans l’entre-soi occidental moderne et urbain, pour ne pas dire dans les soirées mondaines où il s’agit de briller socialement, il est primordial d’avoir un avis défini, tranché et argumenté sur le panel le plus large possible d’« objets culturels ou médiatiques ». Surtout, si possible, d’avoir un avis critique, afin de bien souligner sa supériorité intellectuelle par rapport à la vocation forcément commerciale ou vulgaire de ladite œuvre. Et l’insupportable attente de la suivante, qu’on se bornera savamment à dégommer. Dernier paramètre pour cet exercice : la connaissance effective de ladite œuvre est bien entendu superfétatoire... Il en va ainsi dans ce petit recueil de « gags » de la collection Pataquès de Delcourt : quelques quidams récurrents critiquent toutes les œuvres qui volent à leur portée (bouquins, romans, séries, films), mais qu'ils n'ont Ni lues ni vues, avec des avis prémâchés, entendus, téléphonés, boursouflés et propulsés sur les pentes glissantes du tout-venant méprisable par la « pensée » globale commune. Tout est bon pourvu qu’ils puissent dénigrer. Les cibles sont certes variées et renouvelées, et les arguments sont souvent amusants et bien sentis. En tout cas finement adaptées au « bol alimentaire » qui s’est formé dans l’estomac de la société au sujet des œuvres en question. En tout cas très révélateurs de notre époque et de notre pensée irrémédiablement et abominablement critique. Néanmoins, lorsqu’on s’enfile ces historiettes d’une page à la queue leu leu, ce persiflage systématique et de mauvaise foi devient rapidement écœurant. Pour bien souligner la vanité et la gratuité du procédé, il suffit d’extrapoler qu’un ouvrage qui ferait l’inverse – qui vanterait et soulignerait les qualités des œuvres – n’aurait aucun intérêt. En outre, le dessin moderne et les couleurs ternes de Jean-Christophe Mazurie ont tendance à rendre les saynètes dénuées de bordures de cases illisibles, tant tout est stylisé à l’extrême (façon cubisme…). Bref, on a lu Ni vu ni lu et… on n’a pas aimé.