L'histoire :
Par un soir morose, dans son appartement parisien, Didier Tronchet reçoit un mail d’un pote en voyage, qui vient de passer par l’île aux Nattes. Cette minuscule île de 3 km² se situe à l’Est de Madagascar. Elle est entourée d’un lagon et d’une eau à 30°, et il n’y a ni routes, ni eau courante, ni électricité. Tronchet est aussitôt subjugué par cet endroit paradisiaque du bout du monde. Et comme sa compagne doit partir plusieurs mois en Amérique du Sud, il prend la décision un peu folle d’aller vivre là-bas, sans date précise de retour… et d’y emmener leur fils de 13 ans, Antoine ! Le projet est d’une simplicité remarquable : se déconnecter radicalement de la vie occidentale et expérimenter le « sentiment d’île ». Dont acte. Le père et le fils débarquent un beau jour sur l’île, en Pirogue, au niveau de l’ensemble de cabanons où ils vont habiter, « Chez Tity ». On leur indique leur bungalow : deux lits pourvus chacun d’une moustiquaire. Antoine déballe son matériel de plongée, son père déballe sa quinzaine de livres : les voilà parés à affronter la vie. Tronchet s’imagine alors qu’en plus d’appréhender un nouveau mode de vie où il n’y a rien à faire (rien !), il va incarner la figure paternelle protectrice. Mais Antoine est alors en pleine adolescence, en recherche d’indépendance et d’aventure. Il n’a pas besoin de son père pour vivre sa vie et s’intègre immédiatement aux us et coutumes, faisant montre d’une grande autonomie… à contrario de son père, qui se met à se poser tout un tas de questions existentielles…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cette histoire est authentique : après être allé vivre quelques années en Equateur (cf. Vertiges de Quito), Didier Tronchet s’est réellement et volontairement exilé sur une île exotique du bout du monde, en compagnie de son fils à l’âge de l’adolescence, sans autre but que de voir ce que ça fait. C’est cette expérience insolite qu’il nous raconte dans ce bouquin de 115 pages de la collection Mirages de Delcourt, dessinée avec ce trait épais et stylisé qui n’appartient qu’à lui. Et l’objectif n’est pas tant de partager les modes de vies radicalement différents des autochtones, que de souligner les questions existentielles qui se sont emparées de lui, homme quinquagénaire urbain et père d’un garçon en pleine puberté. L’aventure en tant que telle n’est donc pas exactement homérique : au pire, ils affrontent une montée des eaux, en raison d’un cyclone en approche… qui passe finalement à quelque distance. L’autre moment de tension est celui qui signera leur retour urgent en France, mais on vous laissera découvrir cela à la lecture. Auparavant, Tronchet trompe sa solitude et divertit son lecteur en compagnie de trois personnages imaginaires et logiques : son propre cerveau d’occidental, qui le rappelle sans cesse aux considérations matérialistes ; son moi culpabilisateur d’oser vivre l’oisiveté intégrale ; un alter-ego colonisateur, dès qu’un rapport « naturel » de dominés chez les autochtones lui inspire la honte de notre passé. Mais les relations complexes père-fils, à un âge crucial pour tous les deux (l’un s’autonomise en adulte ; l’autre fait une remise en question de lui-même), tiennent tout de même le premier rôle des débats. Les lecteurs convaincus par ce retour d’expérience pourront prolonger le sujet en lisant le récit écrit et éponyme publié aux éditions Elytis.