L'histoire :
En 2058, le réalisateur de cinéma Charles Bernet couronne 30 ans de carrière par six Oscar, un Golden Globe, un Lion d’Or à Berlin et une Palme d’Or à Cannes pour son dernier film, La continuité grise, une œuvre pourtant aussi hermétique que prétentieuse. Poussé par la notoriété de ce succès, il compte en réaliser aussitôt un autre, Merci pardon. Sa (jeune) femme a beau lui souligner que son scénario est médiocre, pseudo-intello et surtout creux, Charles prend rendez-vous avec son producteur, Junior. Ce dernier juge aussi d’après le pitch que ce nouveau film sera une bouse, mais Charles se montre décidé à faire ce film coûte que coûte. Or Junior ne laisserait personne d’autre produire un film de Charles Bernet. Il calcule donc de faire reposer une partie du budget du film sur des subventions publiques et une autre sur des fonds de Gontran, un richissime mécène. En contrepartie, ce dernier lui impose une jeune actrice (sa maîtresse) qu’il veut voir percer, Emily. Malgré toutes les contraintes imposées, Charles est satisfait, il peut travailler sur la mise en place du tournage de son film. Tout est affaire de rentabilité et de négociation : effets spéciaux, bilan algorithmique d’efficacité, modélisation 3D des visages les plus harmonieux, check médical pour les assurances… Mais soudain, une catastrophe imprévisible va bouleverser ses conceptions et son œuvre…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pour son second roman graphique (après Sukkwan Island), Ugo Bienvenu livre une œuvre ironique et baroque sur les atermoiements et les calculs à la petite semaine imposés par l’économie du cinéma. Il prend pour contexte la France future (dans 40 ans) et imagine que les contraintes budgétaires et hypocrites du 7ème art y seront encore exacerbées. Ici, tout le monde est fier et néanmoins médiocre et agressif. Tous composent une sorte de Vaudeville économique détestable autour de la création d’un film trop intello, dont nous ne connaîtrons pas le sujet. Le héros est un réalisateur bouffi d’orgueil qui veut boucler le financement de ce film creux et prétentieux. Dans son sillage, sa femme condescendante et plasticienne est trop jeune pour lui ; son producteur est un immonde et perfide phallocrate avec les traits de Donald Trump ( ! ). Au gré des 138 pages de ce pamphlet étrange à l’encontre du cinéma, on croise encore le sosie de Gérard Depardieu dans le rôle du puissant investisseur. Le dessin se compose de personnages réalistes et figés et désincarnés dans peu de décors, complété par des couleurs en aplats de teintes criardes. Le futurisme se réduit au look improbable des véhicules, ainsi qu’à l’incursion de deux robots superflus et à la technicité médicale. Car la satire contre le 9ème art se nourrira aussi et surtout d’un évènement choc intervenant pile à la moitié de l’album. Les conséquences psychologiques sur le héros accorderont une petite bouffée d’air d’humanité au milieu de rapports sociaux devenus terriblement étriqués et vaniteux. Paiement accepté ne rend cependant pas tous ses curieux partis pris très explicites… Ce one-shot est cependant intéressant, tant par sa forme baroque que pour son propos original, à défaut d’être pleinement convaincant.