L'histoire :
En l’an 2055, Yves Mathon enterre son père. Il est affligé comme le reste de la famille, mais soutenu par sa femme, enceinte par procuration. En effet, c’est leur robot Mikki qui porte leur bébé pendant les 9 mois nécessaires à la gestation. Le lendemain, Yves retourne au boulot : il est la cheville ouvrière d’une société d’avocats chargée de supprimer des datas de l’humanité. En effet, à cette époque, la mémoire mondiale est arrivée à saturation de ses capacités ! Pour permettre aux gens de pouvoir accumuler leurs données numériques, il est donc nécessaire de faire de la place en supprimant ce qui n’est plus nécessaire – c’est-à-dire ce qui ne fait plus d’audience. Ce jour-là, il soumet aux juges la suppression d’un vieux film oublié, 2001, l’odyssée de l’espace et de tous ses fichiers afférents. Son taux de consultation est de 0,0000012%, ce qui ne plaide pas en faveur de sa conservation. Malgré la courte plaidoirie d’Yves, la juge insensible fixe une date de destruction. Yves s’exécute… mais il ne peut s’empêcher de faire une copie des fichiers en amont, sur une clé autonome, car il est sensible au potentiel culturel de cette œuvre. Or ce genre de copie constitue un délit grave. Deux robots inspecteurs enquêtent d’ailleurs au sein de sa société pour trouver le clandestin qui fait des sauvegardes des fichiers condamnés. Yves planque ensuite les datas au sein de Mikki, qu’il a trafiqué pour que ce soit indécelable…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Bienvenue dans un avenir horrible et pourtant tellement proche des déviances technologiques et sociales de notre temps ! En l’année 2055 extrapolée par Ugo Bienvenu, la problématique centrale de Préférence système se crispe sur la saturation de la mémoire numérique de l’humanité. Et si les data centers d’aujourd’hui n’étaient pas extensibles à l’infini (par manque de terres rares ou par législation) ? De fait, chaque donné numérique (qu’il s’agisse de vidéos, de musiques, d’œuvres littéraires…) est soumise à un jugement qui définit sa conservation ou sa destruction. Mais sur quels critères peut-on ainsi définir ce qui doit être préservé ou détruit ? Les vacances à la plage de madame Michu importent-elles plus que des œuvres majeures du patrimoine du 7ème art, sous prétexte qu’elles font plus d’audience ? Ugo Bienvenu déroule astucieusement cette problématique via un dessin encré réaliste précis mais un peu figé et une colorisation en aplats très marqués. Il accorde à sa narration un suspens de thriller, riche de sens, dans une première partie. Puis, suite à un évènement clé que nous tairons pour préserver le plaisir de lecture, il tente d’espérer un lendemain au lendemain, en faisant un retour à la parabole du jardin d’Eden. Or il délivre alors une conclusion toute aussi amère. A travers cette œuvre bourrée de réflexion philosophique et ode à la création artistique (oui, mais qu’est-ce que l’art ?), Ugo Bienvenu pose tout un tas de questions essentielles. Que lègue-t-on aux générations futures ? Qu’est-ce qui résiste au temps ? La révolution numérique achèvera-t-elle la pensée ?