L'histoire :
Il a 21 ans. Ses sœurs ont quitté le pays, sa misère et ses corruptions, entrainées par un désir d’exil nourri d’images venues d’ailleurs. Son histoire et celle de sa famille sont marquées par les déplacements, les passages de frontières ; lui ne cherche pas à partir : sa vie se déroule là, en terre d’Afrique. Il se souvient du souffle chaud, de l’odeur d’arachide, de la terre mouillée annonçant l’orage à venir. Devenu photographe, il revient faire un reportage son pays natal, au sein duquel le temps ne fait toujours que s’étirer. « Peut-on traduire la nature essentielle de ce lieu ? » Elle est à table, mais ne dit rien, n’existe pas dans cet échange d’hommes discourant sur les effets des progrès venus de l’Occident.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Personnages et voix anonymes se succèdent au cours de ces onze « nouvelles graphiques ». Ils témoignent un à un de leur regard sur le continent le plus déshérité de notre monde et finissent par construire un portrait kaléidoscopique de cette Afrique aussi belle que violente. Du désir d’exil à l’attachement à la terre, de la richesse des ressources à leur pillage, d’un temps suspendu au progrès qui s’emballe, du partage aux guerres intestines, c’est l’Afrique de l’entre-deux que ces récits dépeignent. Les matières et les couleurs des larges images, qui tantôt s’accordent, tantôt se détachent de ces paroles, changent de nature à chaque fragment. A l’acrylique lacéré de l’un succède ainsi le crayon charbonneux de l’autre. Cet ouvrage poursuit le travail que Laurent Bonneau avait entamé dans Ceux qui me restent, celui d’une mise à jour du trait, de ses recherches, ses effacements. Alors que cette forme dialoguait avec le scénario de Damien Marie autour des questions de la perte de mémoire, elle s’installe ici au cœur d’une réflexion sur les identités : immobilisées, écartelées, en attente, niées… Les lieux, comme leurs habitants, restent sans nom, mais affirment, dans cette polyphonie aussi graphique que textuelle, la force de leur unicité. Ils en appellent aux sens : engagés dans un carnet de voyage qui devient le nôtre, on y respire la poussière, hume les odeurs de nourriture, entend crier les joueurs de football. Mais bien loin d’un réalisme documentaire, l’auteur suggère, effleure, pour laisser place à la terre, aux corps et aux voix qui l’habitent.