L'histoire :
L’Argentine au début du siècle passé. Le petit Horacio, fils d’immigré argentin, grandit entre la chambre miteuse de son père imprimeur (anarchiste) et le riche appartement de son amante bourgeoise. Le gamin prend des leçons de piano. On le dit doué. Il est vrai que l’instrument sonne bien sous ses doigts. Vicente – que l’on surnomme « Gordo » du fait de son physique massif – le remarque chaque jour d’avantage. Au café, on se réunit pour parler politique, pour évoquer ceux qui partent « se remplir les poches en Europe » (sic), pour parler musique, tango. Vicente est joueur de bandonéon. Autodidacte, il se démerde, mais il est loin d’avoir le talent d’Horacio au piano. Il s’évertue à mettre de l’argent de côté afin de faire venir sa femme d’Espagne où elle est restée. Un jour qu’Horacio traînait dehors, il lui propose de revenir le chercher le soir même. Ensemble, ils gagnent alors le café où Vicente joue. Le milieu du tango n’est pas un milieu pour les enfants, mais c’est un milieu fascinant. L’ambiance y est chaleureuse, les femmes « offertes » (des prostituées notamment), la musique enivrante. L’épisode marque l’enfant. Avant de disparaître, « Gordo » fait un cadeau à Horacio : son bandonéon. Il lui fait promettre de ne jamais lâcher cette passion pour laquelle il a tant de dispositions…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cet album est né d’un manque. D’une nostalgie, en quelque sorte, du pays. L’Argentine, pays du bout du monde, d’une identité forgée notamment du « sexe et du tango » (pl.17). Argentin déraciné, Jorge Gonzalez propose aux lecteurs – adultes et curieux – un album en deux temps. D’abord, l’histoire du petit Horacio, enfant doué pour la musique et qui, les ans passant, laisse glisser sa vie et son talent pour n’avoir au final que regrets (?) ; puis une partie intitulée Juste comme ça, le récit d’un retour à Buenos Aires, en famille (en plus de croquis d'étude). L’ensemble offre une remarquable réflexion sur le sens de la vie ; sur le sens de la nationalité argentine aujourd’hui ; sur ses racines et l’expatriation possible ailleurs, dans l’espérance d’une vie meilleure. Qu’est-ce qu’un Bandonéon ? Une sorte de petit accordéon typique du tango. Il se gonfle et se tord comme nos vies. C’est le massif Vicente, dit « Gordo », qui en joue, peut-être le personnage (masculin) le plus digne de l’album. C’est lui qui ouvre et porte cette passion de la musique, du mouvement, représenté par un crayonné fouillé, sciemment apparent. La mise en couleurs sombre, jouant sur les noirs, les bruns jusqu’à l’or et les blancs cassés, traduit une tension, une réalité datée, un souvenir douloureux qui marque. En peu de mots, un attachement fasciné mais aussi un tiraillement. Sans certitudes ni jugement, Jorge Gonzales dresse modestement un constat : le portrait d’une identité profonde. 200 pages maîtresses, exigeantes, invitant les amoureux du 9e art à un voyage déchirant.