L'histoire :
A la rédaction de son journal, située aux derniers étages de la Tour Montparnasse, Gilles Collot-Sopiédard est une vedette. Chaque semaine, il publie en effet un billet humoristique aux effets sarcastiques ravageurs, qui lui assure une belle notoriété, lui vaut des milliers de followers et fait le succès de son canard. Il est respecté pour la liberté de sa férocité, mais aussi pour son sens de la répartie. Car Gilles officie aussi au sein d’une célèbre matinale à la radio, où il brosse chaque jour le portrait acide de l’invité. Gilles a sa définition très personnelle et décomplexée de l’humour, qui doit être à la fois non consensuel, mordant, improvisé et ne doit pas déborder dans la provoc’ facile ou les blagues préparées. Et tant pis si on le trouve arrogant, c’est la rançon du succès. Cependant, l’humoriste suit aussi une psychothérapie, notamment pour comprendre son propre vécu. En marge des séances en compagnie de sa thérapeute, il discute aussi avec un ami imaginaire, un poulbot parigot à casquette, alter-ego de lui-même enfant. Un jour, sa vieille maman lui téléphone pour l’inviter aux 50 ans de son frère, dans sa ville d’enfance du Nord. Gilles n’est pas « très famille », c’est le moins qu’on puisse dire. Son fils ne savait même pas qu’il avait un oncle ! Donc Gilles commence par se moquer de cette proposition. Mais un guet-apens sur un plateau TV autour d’un sujet glissant le fragilise. Le roc infaillible Gilles, qui ne doutait jamais, remet alors toute sa situation professionnelle en question. Et il va aux 50 ans de son frère. Entre discussions et photos de famille, il découvrira alors qu’une année de son enfance a totalement disparu de sa mémoire…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après des années à faire des BD caustiques autour des personnages de Jean-Claude Tergal ou Raymond Calbuth (voire avec La bite à Urbain !), puis un long séjour en Equateur, Didier Tronchet a progressivement basculé dans des récits plus « profonds », sans pour autant se départir de tendresse pour ses personnages et d’un exquis sens de la dérision. Cela a commencé avec Houppeland (et paf, dans les gencives de l’esprit de Noël), mais aussi des œuvres partiellement autobiographiques : Le fils du yéti (la disparition de son père), Robinsons père et fils (son expérience sur une île avec son fils)… ou pas (Le chanteur perdu, Sortie de Route). Pour autant, cette Année fantôme est sans doute son récit le plus intime. Celui qui a passé sa vie à parler avec gravité de l’humour, et à rire des choses graves, se livre à une double introspection de ce qu’il est, une catharsis douce-amère d’une déboussolante sincérité. Cela se passe donc en deux temps, et toujours dessiné à grands renforts de traits épais et de faciès ultra-caricaturaux. Premièrement, à travers son alter ego de Gilles Collot-Sopiédard (lisez en commençant par le patronyme pour comprendre le sens caché de ce curieux nom), Tronchet décortique le mécanisme de l’humour. Pourquoi et comment est-on drôle ? L’étiquette d’humoriste est définitivement pesante. Puis après avoir déconstruit son fonds de commerce, dans un élan freudien, Tronchet s’attaque à sa jeunesse et fait un témoignage authentique et bouleversant sur lui-même et sa famille. Une année manque en effet à la mémoire de son personnage et il va – comme vous, lecteurs, allez – comprendre pourquoi (on va éviter de tout divulgâcher). C’est brillant, raffiné, tendre, sincère, bouleversant et drôle ! François Morel, qui réunit lui aussi régulièrement tous ces qualificatifs en même temps, signe la préface.
