L'histoire :
1912, Cambodge. Le professeur Hermentaire Truc est envoyé pour opérer la cataracte du roi Sisowath, garant du pouvoir français dans le protectorat. À son arrivée, il est rapidement confronté aux intrigues de cour, aux manœuvres politiques et à une culture exotique à la fois séduisante et dangereuse. Au cœur de l’album, apparaît Simala, la mystérieuse danseuse aux dents noires du ballet royal, dont la grâce dissimule des enjeux plus profonds. Tandis que Truc avance dans son opération et découvre peu à peu le vrai visage du royaume, Simala devient l’énigme qui relie tradition, séduction et pouvoir. Le récit mêle ainsi l’Histoire coloniale, l’aventure scientifique et la danse royale dans un décor de palais, de temples et de jungle.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec cet album, Jean-Laurent Truc et Olivier Truc revisitent un pan méconnu de l’histoire coloniale française à travers la mission d’un ophtalmologue occidental. Leur scénario se caractérise par son double regard : scientifique d’un côté, culturel de l’autre. Le protagoniste avance dans une opération médicale sérieuse et se retrouve peu à peu entraîné dans les méandres d’un royaume en fracture. Cette tension entre le savoir moderne et les symboles d’un pouvoir ancien nourrit le récit. Les Danseuses aux dents noires s’inspirent des ballerines du Ballet royal du Cambodge, dont certaines noircissaient leurs dents selon un rite esthétique ancestral. Ce geste, lié à la beauté et à la noblesse, visait à se distinguer du commun et à renforcer la présence scénique. Dans le contexte du récit, cette tradition devient un symbole : celui d’un monde où l’élégance dissimule la contrainte, où le pouvoir se cache derrière la grâce. Graphiquement, le dessinateur Éric Stalner est à la manœuvre. Comme à son habitude, il fait preuve d’une maîtrise remarquable. Son trait réaliste, précis mais jamais figé, capte la sensualité des corps et la densité des décors. Les personnages sont expressifs, leurs gestes mesurés. La mise en scène rappelle parfois le théâtre ou le cinéma. Les temples, le palais, la jungle moite sont rendus avec une minutie presque picturale. La palette de couleurs, dominée par les ocres, les verts et les ors, évoque la chaleur, la poussière et la beauté troublante de l’Asie coloniale. Le découpage, fluide et aéré, alterne entre grands plans immersifs et gros plans intimistes. Les transitions, souvent elliptiques, accentuent la dimension poétique et sensorielle du récit. La lumière, omniprésente, se charge peu à peu de tension : éclatante au début, elle se voile à mesure que la vérité se dévoile. La danseuse aux dents noires réussit ainsi un équilibre rare entre roman d’aventure, chronique historique et méditation visuelle. Rodé à l’art du récit et du détail, Stalner livre un album somptueux, où chaque page semble danser au rythme d’une époque qui s’efface.
