L'histoire :
De nuit, Josep Pla, alias Pep, tue sa femme, à grands coups de masse dans la tête, à proximité immédiate d’un de ses enclos d’autruches – il est éleveur. Il y met du cœur : sans sa robe à fleur, elle serait méconnaissable. Les bras en sang, il la charge à l’arrière de son pick-up, puis va se garer à côté d’un vieux puits à sec. Mais au moment de la balancer dans le trou, la charogne s’accroche encore à la vie et elle parle, même ! « Le beurre… » Pep est obligé de reprendre sa masse en main et de s’acharner une bonne vingtaine de coups supplémentaire. Cette fois, elle a le cerveau en bouillis, il peut la balancer dans le puits. Au moment de refermer le hayon, il aperçoit trois molaires, qu’il récupère dans sa poche. Une pluie diluvienne s’abat providentiellement, comme pour laver tous les déchets organiques. Il se déshabille et enfourne ses fringues maculées de sang dans un sac destiné à être incinéré. Il passe un coup de fil à sa maîtresse pour l’avertir que « c’est fait ». Mais ô surprise, quand il rentre chez lui, sa femme est là, bien vivante, entière et normale, dans sa robe à fleur, avec ses bigoudis sur la tête. Comme si de rien n’était, elle réclame le beurre. Pep croit être devenu cinglé. Il a toujours les trois molaires en poche. Il brûle néanmoins les fringues et prévient sa maîtresse de son inexplicable échec…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les amateurs de gore et d’humour gore (en général, ça va ensemble) peuvent se jeter les yeux fermés sur ce one shot d’horreur jubilatoire, surprenant au sein du catalogue Dupuis. C’est l’histoire de l’épouse encombrante, devenue insupportable, qui ne meurt jamais. Peu importe la logique du ressort fantastique qui aboutit à cet état de fait, le principal étant l’effet d’ébahissement et d’agacement que cela produit sur son (ses) meurtrier(s). Et leur acharnement réitéré, par des moyens d’ordinaires implacables. Dans un registre inhabituel (mais pas si étonnant), le scénariste Zidrou plante un décor extrême-rural baroque et sordide. A l’élevage d’autruche qui sert de cadre de fonds, se greffent des mœurs familiales psychopathiques et incestueuses. Ah oui, au fait, vous aviez compris que cette histoire s’adressait à un public adulte qui a les tripes solides ? L’image de l’autruche, oiseau stupide et encombrant, fait admirablement écho à la personnalité de l’épouse. Evidemment, la grande maîtrise de dessin de Benoît Springer permet d’allier les expressions faciales caricaturales à une pure science des cadrages, des profondeurs et de l’effet glauque. Jouissif. La coloration monochromatique, qui varie au gré des séquences successives, est un bon parti-pris, qui renforce encore le sentiment de réalité décalée. Nous sommes dans un épisode de la quatrième dimension, mais qui aurait été écrit par le Peter Jackson de Bad Taste. Et sinon, quid du beurre ?