L'histoire :
Un quincailler de la rue de Bièvre est retrouvé assassiné dans de biens sinistres circonstances : le corps brulé avec des tisons, mais surtout l’extrémité des entrailles clouée à un tronc d’arbre. Le commissaire chargé de l’affaire n’a pas la moindre piste. Aussi décide t-il de mettre à mal, via quelques interrogatoires musclés, la racaille des bas fonds de Paris. La méthode porte à demi ses fruits, puisque le policier apprend simplement qu’une nouvelle bande sévit : aucun territoire, un argot inhabituel et des méthodes particulièrement violentes semblent les caractériser… Marcel, qui partage ce soir là sa couche avec la belle Monelle, a lui-même entendu parler du dernier meurtre, trouvant plutôt intéressant de mourir ainsi : comme un aventurier. Le bougre, quant à lui, se contente de l’amour tendre de cette vendeuse de charmes et de ses bouquins qui sont son deuxième lui. Ce même soir, Monelle quitte son amant pour aller exercer ses talents au Double-Blanc : l’établissement accueille une bande de gars pleins de jolies pièces, des gars qui veulent des filles, évidemment. Leur chef est un drôle de personnage qui porte un masque d’or et sait se débarrasser de la police en tripotant son collier pour faire intervenir tempête et pluie. Il semble bien que ce soir-là, Monelle ait mis la main sur les malfrats recherchés. A moins que ce ne soit leur capitaine qui l’ait déjà jeté dans ses filets…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En s’associant pour mener la frégate de leur Capitaine écarlate, les deux pointures du 9e art que sont David B. et Emmanuel Guibert offrent un récit aux frontières du conte et de la réalité. L’histoire dans laquelle ils nous plongent emprunte, en effet, les chemins de l’onirisme, si chers à David B, mais en laissant le doux sentiment de vivre un rêve éveillé. C’est le personnage de couverture, le fameux capitaine masqué d’or, lui et sa bande de pirates décapités, qui se chargent d’assurer la partie fantastique du récit. Le boucanier vole et tue dans un Paris début XIXe, à la barre d’un fabuleux bateau volant, aidé par le pouvoir d’invoquer les éléments. Et c’est la rencontre de cet univers, pour le moins hors norme, avec un passionné de lecture (volant au secours de sa belle), qui va faire tout le sel du propos. Ce dernier a d’ailleurs réellement existé (voir le dossier de fin d’album). Il s’agit de l’écrivain, poète et conteur, Marcel Schwob, dont les travaux ont depuis longtemps tapé dans l’œil de nos deux co-auteurs. Pour lui, David B. imagine cet univers pour l’y plonger délicieusement : lui faire vivre l’aventure de ses propres récits. Rythmé par des dialogues ciselés (savoureusement piqués d’argot à l’ancienne) et une palette de protagonistes hauts en couleurs, l’ensemble se lit très agréablement. La coloration poétique permanente est un atout supplémentaire et pour peu qu’on ait pris le parti du récit non conventionnel, on appréciera la proposition. Ces fabuleuses circonvolutions de l’imagination ne seraient rien si elles n’étaient servies par un dessin envoutant. Le trait, le grain, la colorisation d’Emmanuel Guibert nous portent en effet tout aussi facilement que le bateau du capitaine dans ce monde à la fois doux, triste, drôle et violent.