L'histoire :
Jean, polytoxico, n’a qu’une envie désormais : « décrocher » de la drogue et devenir clean. « Fatigué de courir à droite à gauche, fatigué de voler l’argent de sa famille, fatigué de voler les magasins », il a décidé d’en finir avec cette vie oscillant entre morbidité et fausse lucidité. Admis dans un centre pilote qui fonctionne sur le modèle des principes thérapeutiques américains, il débarque au Château des Ruisseaux, à Soissons, pour y suivre une thérapie de groupe. Là-bas, les règles sont claires : interdiction d’apporter de l’eau de Cologne ou du parfum, walkman, livres et télévision sont proscrits. Interdiction aussi de s’isoler, de donner un coup de fil dans les 10 premiers jours et interdiction d’entamer une relation amoureuse, histoire d’être toujours ouvert au groupe. Entraide, écoute attentive, travail sur les émotions, abstinence totale doivent permettre de modifier les comportements en douceur. Entre récits de vie sous drogue, tentation des sentiments, envies de coke ou d’héroïne, Jean, Marie, Gilles et les autres ont décidé de guérir en s’écoutant… Mais l’espoir est mince et les statistiques cruelles : seuls 15% décrocheront effectivement.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le Château des Ruisseaux aborde un sujet rarement traité en BD, puisque ce docu-fiction évoque le quotidien de toxicomanes presque en fin de parcours, qui ont l’envie de reprendre goût à la vie. Le Château et ses méthodes thérapeutiques font penser aux groupes de paroles américains où entraide et écoute de la parole de l'autre sont les ressorts actifs de la guérison. On y suit donc le quotidien des membres du groupe, leurs angoisses, leur passé de junkie et leurs espoirs. Les auteurs ont fait le pari de la sobriété pour restituer au plus près les émotions ou impressions de personnages souvent paumés et en quête d'identité. Le ton neutre permet de poser un regard à la fois distancié et frontal sur des réalités souvent glauques (overdose dans les toilettes, transmission du VIH, prostitution pour un peu de came…), tout en évitant l’écueil du pathos. Au-delà de l’histoire, assez factuelle et finalement trop brève pour réussir à nous absorber complètement, c’est l’interprétation graphique de Frédéric Poincelet qui retient surtout l’attention. Son trait réaliste s’affranchit des cases, capte habilement l’ambiance au Château et révèle avec subtilité les émotions de chacun : fin et délicat, soutenu par une mise en couleurs elle aussi très sobre, le graphisme insuffle douceur et sérénité, tranchant ainsi avec la dureté des expériences rapportées, parfois sinistres ou désespérées mais toujours réelles. Entre documentaire et fiction, un huis-clos sans fard.