L'histoire :
Un peu maniaque, petite moustache, grosses lunettes et mèche ringardes : Hervé a tout du nerd. Il a néanmoins une copine, Chloé, il se sent bien dans sa peau et dans son job de bureau. Enfin, sauf ce matin là… La levée du corps avait pourtant été banale : ablutions, habillage, petit déj’ avec 4 sucres dans le thé, après s’être un peu cramé les doigts avec l’eau bouillante, puis brossage de dents et départ pour le boulot. Or, dès lors qu’il est dans un espace public, les passants le regardent de travers et l’abordent très bizarrement en lui rapportant ses faits et gestes intimes du matin. Hervé fuit et se sent mal. Petit à petit, il comprend que les gens, TOUS les gens, voient ce qu’il voit, entendent ce qu’il entend et… sentent ce qu’il sent ! Ce qui est forcément très gênant, et pas seulement lorsqu’il a besoin d’aller au petit coin… Hervé est soudainement devenu un diffuseur à l’usage de la population mondiale et à sens unique ! Il se retrouve donc traqué par des milliers de quidams exhibitionnistes qui veulent faire passer un message à un proche ou tout simplement faire leur pub… Les aveugles sont éminemment intéressés, les services secrets sont eux aussi en alerte maximale. Et impossible pour lui de se cacher, sauf à le faire à l’aveuglette ! Ses amis et collègues Marc et Olivier lui viennent donc en aide (avec un sac sur la tête) et prennent en main la commercialisation de ce formidable potentiel d’espionnage et de diffusion. Face à lui, à l’intention des ambassades, ils demandent 1 millions d’euros la semaine de location de leur pote. Les enchères sont ouvertes pour déterminer quelle puissance en bénéficiera le premier…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le prolifique Lewis Trondheim a ici eu l’idée géniale d’un tracas existentiel aussi original que riche en potentiels. Dans ce one-shot petit format hors normes (au regard du catalogue Dupuis), le héros est en effet soudainement transformé en diffuseur télépathique mondial de ses propres sensations. Attention, ce ne sont pas ses pensées qui deviennent « open-source », mais plutôt ce que perçoivent ses 5 sens. De fait, il constitue à lui seul un extraordinaire diffuseur mondial d’images et de sons, et cela attise moult convoitises : du quidam de base qui l’empoigne afin de causer à ses potes, jusqu’aux services secrets de tous les pays qui veulent s’en emparer pour analyses et profits, en passant par les appétences publicitaires… Trondheim fait un tour relativement exhaustif des perspectives lucratives infernales offertes par la problématique et des conséquences sur l’intimité du personnage. Léger et rythmé, tablant sur un sens du dialogue franc et efficace, le ton demeure celui de la comédie sociale, avec un dénouement lui aussi assez bien vu. Les 156 planches de l’épais ouvrage se dégustent donc d’une traite et d’autant plus facilement que le dessin a été confié à l’une des plus belles griffes du moment : Matthieu Bonhomme. Toujours d’une limpidité et d’une perfection exemplaires, le découpage impeccable et ses encrages réalistes se rehaussent d’une teinte bleue unique et bichromique, en aplats. Ç’aurait pu être édité par Futuropolis, mais c’est chez Dupuis et ça mérite largement le détour !