L'histoire :
Gratte-ciels ; fumées toxiques ; embouteillages ; gris quotidien : la ville moderne est le théâtre d’un énième meurtre aujourd’hui… Il a suffit d’une seule balle pour l’abattre. Rien qu’une, pour lui faire lâcher son attaché-case et maculer son costume jaune canari. Le meurtrier, lui, se fond dans la ville et retrouve, bientôt, la chaleur des cuisses d’une maitresse comblée. Puis une dernière cigarette pour ponctuer cette difficile journée… Assassinat ; coït ; mégot mal éteint : rencontre improbable dans les hauteurs de la ville des émanations du sang de l’homme d’affaire abattu, du sperme du meurtrier et de la fumée du mégot. Improbable, et pourtant elle donne naissance à un être énorme ; intriguant, aux yeux doux d’enfant ; fumant le cigare ; s’installant sans aucune gêne dans le lit de notre assassin. Leur rencontre est un choc qu’une nuit de sommeil semble repousser au rang d’une hallucination provoquée par les événements de la veille. Cependant, elle est bien là, la bestiole, le lendemain matin, le Havane aux lèvres, sirotant son café bouillant : pas certain que de la passer par la fenêtre suffirait à s’en débarrasser…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le moins que l’on puisse souligner, c’est que le chemin emprunté ici par Nicolas de Crécy éloigne des sentiers « classiques » et divertissants du 9e art. Aussi, nous vous laisserons choisir ou plutôt prendre le temps de vous y aventurer, mais nul doute, pourtant, qu’un jour ou l’autre, vous vous laisserez tenter par cet album audacieux. Etre chimérique, monstre moderne ou simple extension du surmoi de l’assassin grisonnant, ce Prosopopus intrigue, dérange, rebute, effraie, titille… Habilement construite, cette histoire muette, mais parfaitement lisible, laisse danser subtilement remords, vengeance, cupidité, mort et érotisme autour de notre pauvre héros. Graphiquement, les amateurs de l’artiste s’y retrouveront. Nicolas de Crécy ne ménageant pas son talent de fin découpeur de récit (la scène de l’autopsie est un bijou), de faiseur de tableau (des velléités impressionnistes ?) ou d’habile joueur de contraste. Alors certes, l’auteur déstabilise, déroute (volontairement ou pas), mais il ne manque pas de nous proposer une vraie histoire, pour laquelle ce petit bout d’intello qui sommeille en nous trouvera sa parabole, mais qui via des flashbacks explicitent soudent impeccablement le propos : une histoire de cupidité dans une société qui fait parler les gros sous à la place des sentiments, mais où finalement les méchants en bavent lourdement. D’ailleurs, hormis la conclusion un peu moins solide, le scénario est finalement très dense pour un récit sans mot. Ainsi, De Crécy fouille son medium, gratte notre intellect sans nombrilisme, en présentant une œuvre peut-être pas si inaccessible qu’il n’y parait : à lire 2 fois pour s’en assurer.