L'histoire :
L’album s’ouvre sur Le Messie est revenu, la première BD publiée par Fluide glacial, puis sur Drame d’aujourd’hui et Obsession, de courtes histoires parfaitement déjantées. Déjà l’absurde, mais aussi une certaine folie, du non-sens. Suivent les mini-histoires : La science des grands anciens, évidemment par antiphrase, qui sur une demi-page forment un gag imprévisible. Leur humour noir, leur fin affligeante et ridicule, les rapproche des Idées noires de Franquin, elles aussi parues dans Fluide. Suivent des histoires totalement inédites en album : La morgue de la rue Fourgeau (une parodie d’enquête routinière) et The Guardian (une absence d’intrigue quotidienne autour d’un concierge un peu spécial). Les personnages montrent une certaine naïveté mais l’ambiance générale est dramatisée, forcée, à l’humour sous-jacent. Les sortilèges du comte Karlgraf parodie les films du style Les chasses du comte Zaroff et leur rendu expressionniste. Un homme est invité dans un château de Bavière, témoin d’un environnement étrange, à la fois vénéneux, hypnotique et séduisant. Hommage au Petit Poucet détourne le conte pour présenter des versions toutes plus loufoques les unes que les autres. Le Père Noël arrive, personnage déjà traité dans Retour vers l’enfer, a ici une histoire autonome parue indépendamment. Grand cœur sympathique, mais gauche et un peu bête, après quelques péripéties, il rencontre « la petite fille aux allumettes », du conte bien connu, puis a une explication orageuse avec son supérieur hiérarchique, Dieu lui-même. Les monstres sacrés Clark Gable et John Wayne sont utilisés dans Cinéma, pour mieux les ridiculiser dans des situation et dialogues invraisemblables. Ensuite, un « Traité d’anatomie artistique » décline les positions et mouvements du corps humains pour servir de (faux) guide au dessin, à travers des exemples très détaillés. San Antonio (Du plomb pour les pigeons), autre histoire inédite en album, met en scène un anti-San Antonio qui serait plutôt un Bérurier : maladroit, qui enquête, mais aux rencontres très banales et pitoyables. Heidii, dernière histoire inédite, détourne le conte en humour macabre jusqu’à la tombe de la petite fille. L’album se clôt dans une note humoristique avec Les farces du 1er avril, idiotes et irracontables de gens du quotidien, entre tragédie et comédie, qui s’achève dans l’observation d’une troupe de profs de maths migrant vers le Nord…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Sous un dessin de couverture inédit, ce volume de plus de 100 pages réunit 18 histoires et 9 mini-histoires en noir et blanc et 2 quatrièmes de couverture en couleurs. Contrairement aux autres (rares) recueils et compilations de BD de Goossens (hors albums complets), cette anthologie se focalise sur sa première période, à partir de 1977, lorsqu’il débute dans (A SUIVRE) puis à Fluide Glacial. Les BD présentées sont donc en noir et blanc. Il a pu se faire la main en toute liberté pendant quelques années. Gotlib ne s’y est pas trompé en pressentant immédiatement ce que Goossens pouvait apporter à Fluide. D’ailleurs, est-ce un hasard s’il arrive à la revue en 1977, année de la disparition du grand dessinateur Alexis, grand complice de Gotlib, comme un passage de relais inexplicable ? Dans cette anthologie qui revient aux sources de l’œuvre de Goossens, on trouvera ses racines, sa façon très personnelle de raconter des non-histoires. Des tics de langage et d’attitude au détournement de clichés, du pitoyable au sordide, de la naïveté à la bêtise, il a exploré les méandres de l’âme humaine, ses habitudes, ses lâchetés, son ridicule. Un mot sur son dessin d’alors, à mille lieux des couleurs vives qu'il utilise à partir des années 2000. Son trait noir et blanc est contrasté, sans concession, avec un beau travail sur les ombres, les hachures. Son graphisme n’était pas académique, mais extrêmement stylé, se reconnaissant au premier coup d’œil. Pas académique mais réaliste et très tenu : il contraste avec l’humour qui imprègne ses histoires. Voilà quelques raisons parmi d’autres pour lesquelles les professionnels et de nombreux amateurs de BD considèrent Goossens comme culte, à la fois comme raconteur unique et mais aussi comme dessinateur. Ce n’est évidemment pas pour rien qu’il a reçu le Grand Prix d’Angoulême 1997 : reconnu parmi les plus grands. Vivement un volume 2 car les inédits en album restent encore nombreux. Quant à la question « Où va-t-il chercher tout ça ? », aux dernières nouvelles, on ne sait pas !