L'histoire :
Madrid, début des années 50… Il y a eu les hivers sans chauffage et la torture du froid. Il y a eu la faim perpétuelle. Il y a eu les brimades... Et puis un beau jour, le destin rappelle à son bon souvenir le petit Carlines : âgé de 12 ans, il quitte enfin l’institution, à laquelle il avait été confié, au bras de son frère ainé. Sa maman est encore fragile mais la famille est enfin réunie. Carlines ne se souvient plus de son quartier : ça fait trop longtemps. Aussi, le gamin ouvre t-il grands ses narines et ses yeux : vendeurs de cigarettes, petit cireur de chaussures, mendiants estropiés, ancien atelier de son père, voisines se chargent de lui en porter les premiers parfums. Et puis, il retrouve bientôt sa mère et ne tarde pas à faire un premier vrai repas depuis bien longtemps : œufs sur le plat, chorizo, pain et bouillon chaud remplacent éternels pois chiches, riz ou feuilles d’arbre, qu’il mâchouillait pour éloigner la faim… Le gamin découvre également ses grands frères : prompts à lui donner une petite pièce ou à lui apprendre à lire l’heure et se chamaillant pour une jolie fille. Bientôt, Carlines trouve une place d’apprenti dans un atelier de décoration et de restauration de porcelaine, chez Monsieur Sarmiento, un bonhomme qui économise sur tout…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Unanimement encensé par la critique (et même auréolé du prix du patrimoine 2010 à Angoulême), Paracuellos nous assénait l’enfance poignante de Carlos Gimenez passée dans un « internat » catholique sous Franco. Barrio, aujourd’hui proposé en intégrale (4 tomes dont seul le 1er avait été publié en France), en est incontestablement la suite, l’ouvrage s’ouvrant d’ailleurs par un récit chargé de faire le lien : à la fin de celui-ci, Carlines quitte l’institution pour retrouver sa mère, ses frères et découvrir son quartier (« barrio » en espagnol). L’ensemble proposé est une description de la vie d’un quartier pauvre de Madrid, à laquelle l’auteur superpose la sienne en filigrane (regroupement familial, premier boulot, évocation du père, premiers sentiments…). De fait, l’angle autobiographique est ici moins présent. Carlos Gimenez reconstitue un puzzle d’anecdotes (vécues personnellement ou décrites par des amis) d’une à une douzaine de planches où les petits bonheurs insignifiants, les moments de tendresse, les jeux potaches côtoient le drame, la violence et la tragédie. Reconstitué, ce puzzle livre un cliché grouillant de la période, d’une puissance émotionnelle forte, mais ne sombrant pourtant jamais dans le larmoyant ou l’apitoiement. On en prend ainsi à pleines narines, sans que l’auteur ne nous fasse jamais la leçon (il nous propose simplement). Pauvreté, famine, désespoir, dictature ou Guerre civile sont habilement colorés avec humour et agréablement garnis d’images d’antan (tradition, coutumes, anciens métiers, jeux…). Bref, Barrio offre une impeccable leçon de vie servie par une narration brillante. Le trait (mais bon sang que ça ressemble à celui de son copain Gotlib…) qui oscille entre caricature et réalisme est, quant à lui, tout autant capable d’atténuer la charge émotionnelle que de la transcender. A noter son évolution entre le 1er chapitre (1980) et les suivants (2005). A ne pas manquer, en tous cas.