L'histoire :
Deux bobos ont organisé une « soirée powerpoint » sur leur i-book, pour montrer à leurs amis les photos de leurs dernières vacances écolo-équitables au Chiroubistan (un petit pays vaguement coincé entre la Mongolie et le Chili). Il leur avait alors fallu 6 heures de pistes en 4x4 pour rejoindre leur camp de base, alors que la distance parcourue n’était que de 60km… mais au Chiroubistan, « la frontière entre le temps et l’espace n’existe pas ». Après le traditionnel verre de Pikili (du lard de buffle macéré dans de l’urine de chèvre, avec un peu d’herbe pour relever le goût), ils ont été conduits à leur yourte et ont offert les stylos-billes aux enfants autochtones. Puis ils se sont volontiers prêtés au concept de ces vacances équitables, basées sur le principe du partage utile : ils avaient une semaine pour construire un petit bâtiment destiné à accueillir des toilettes sèches, en fabriquant eux-mêmes les briques à partir de bouse de buffle…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Eux-mêmes autoproclamés « bobos » (pour ceux qui l’ignorent encore, le bobo, alias bourgeois bohême, caractérise une frange de notre société de quinquas relativement aisés, mais ayant conservé des réflexes hippies des sixties), Dupuy et Berberian récidivent avec un second tome humoristique sur le phénomène. Si la surprise n’est plus de mise (le premier tome avait frappé un grand coup), la caricature, subtile et tout de même acerbe, fait toujours mouche. Sans réelle méchanceté – puisqu’ils en font partie – les auteurs étendent cette fois l’étude sociologique pertinente de leur bobosphère aux largesses de la mondialisation. A travers un vaste récit-chorale, néanmoins construit en sketches, ils cernent particulièrement bien ces comportements aberrants, au point de livrer un nouvel ouvrage de référence (et très accessible) sur le sujet, que n’aurait pas renié Bourdieu. De l’introduction abusive du chevreuil au bénin (ersatz de la carpe du Nil), à l’exploitation et aux blocages syndicaux appliqués aux hamsters, en passant par les vacances écolo-équitables (débiles) au Chiroubistan, ou par le processus de construction de la « valeur » de l’art, jusqu’aux magouilles notoires entres la sphère de la finance et la sphère politique pour imputer l’absorption des coûts sur la masse populaire… Tout d’entrecroise intelligemment : le comique de situation s’appuie sur un comique de répétition, comme pour mieux faire passer la pilule de la satire sociale, qui nous concerne tous. Au-delà du bobo, Dupuy et Berberian ciblent de nombreuses absurdités de notre société, à l’instar de ce type qui se retrouve, en sortant du magasin Gap®, à chaque fois dans une capitale différente du monde. Si le dessin du binome est hyper stylisé et rapide (la bobo touch ?), ils sont tout de même très forts ces deux-là…