L'histoire :
En juillet 1969, une femme enceinte arrive au domicile d’un avorteur artisanal. La loi sur l’interruption volontaire de grossesse n’a en effet pas encore été votée. Ça se passe dans la cuisine… mais c’est trop dur, trop glauque. Le père est juste un mec de passage, flower power, qui s’en fiche un peu… Elle se sauve en courant, et décide de garder le bébé. Quelques mois plus tard, Virginie nait. Le bonheur généralement inhérent au moment de l’accouchement reste pour elle une question de versions divergentes, entre le son de cloche de sa mère et celui de sa grand-mère. Toujours est-il qu’encombrante, elle est confiée toute petite à la garde de son arrière-grand-mère. Ces années-là, il faut cacher la honte d’avoir une enfant non désirée aux yeux de la société. Que personne ne la voit… Acariâtre, peu disposée à faire l’éducation d’une enfant, la Mémé passe ses journées dans son fauteuil, à lire des romans à l’eau de rose et à regarder parfois la télé. Et toutes les occasions sont bonnes pour râler sur Virginie, et pas seulement quand celle-ci dessine sur les murs : à cet âge, on a surtout un besoin abyssal de découvertes et d’apprentissage. Mémé n’a pas été préparée psychologiquement à subir durant des années la promiscuité de cette fillette débordante d’attentions, dans une seule pièce en huis clos. Terriblement seule, Virginie s’invente des histoires pour ne point trop s’ennuyer. Elle décrypte avec son maigre bagage culturel, le langage des adultes, essayant de cerner ce que c’est, la vie…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans le premier tome de cette future trilogie, Virginie Caddy débute un récit autobiographique évidemment poignant. Ça commence fort, avec la fuite devant l’avortement, puis le mystère des circonstances de l’accouchement… pour aussitôt s’installer dans un long huis clos avec la Mémé. Virginie insiste lourdement sur les moments lénifiants de sa petite enfance, enfermée dans une pièce où il n’y a rien d’autre à faire que de supporter le caractère revêche de son arrière-grand-mère… Le lecteur a beau s’agacer de l’irritation permanente de la « vieille », Virginie lui fait régulièrement comprendre que Mémé (au moins) est là pour elle et que, malgré tout, elle est le seul réceptacle de l’amour que la fillette a besoin de transmettre. Des circonstances de son origine, aux premières années de sa vie en vase clos, il y aurait de quoi sombrer rapidement dans le pathos. Pour y parer, la scénariste (d’Arkheod ou La tranchée), également professeur de scénario, a heureusement aéré son propos. La part de légèreté inhérente à l’enfance est également conservée via autre aspect fort du récit : la propension de la fillette à basculer dans un univers imaginaire onirique, pour satisfaire ses besoins de rêves et d’aventures. Les auteurs jouent alors à Alice au pays des merveilles, et tutoient les œuvres de Fred (Philémon) voire de Moebius… Quasiment intégralement en voix-off, le récit est aussi remarquablement allégé par le traitement graphique jovial de Marc-Rénier, qui en surprendra plus d’un ! Le dessinateur de Black Hills et de Jackson explique qu’il ne supportait plus son style ultra-réaliste, terriblement contraignant et épuisant. Qu’il avait besoin de s’affranchir de cette satanée justesse du dessin pour privilégier la spontanéité, la vérité, de s’amuser… Effectivement, il lâche ici les rennes de son coup de crayon, collant du coup à merveille au « style roman graphique » en noir et blanc, formant une unité cohérente et fort agréable à parcourir. Une bonne surprise…