L'histoire :
A Alger, Kamel Bourad, 30 ans, diplômé de l’enseignement supérieur se voit refuser sa demande de visa pour la France, suite à une erreur informatique. Pour tout arranger, en forme de double peine, on lui rappelle qu’il doit remplir ses obligations militaires dans les meilleurs délais. Kamel ne veut pas faire son service militaire et il est bien décidé – avec ou sans visa – à gagner le sud de la France pour rejoindre Aziz, son cousin. Aussi, muni d’une belle liasse de billets, active t-il ses connaissances pour trouver un réseau de passage clandestin. Un adieu à la belle Samia, une volée « d’Inch’ Allah ! » et à minuit à l’embarcadère, il est confié au vase clos d’un gros container pour un voyage sur un cargo. Deux jours plus tard, il est en gare de Marseille pour un premier jeu de cache-cache avec les autorités. Certains de ses compagnons se font d’ailleurs prendre. Lui, a le temps de monter dans un TGV. Ce train, Alain, agent zélé de la SNCF, en assure en partie le contrôle des billets. Il trouve Kamel caché dans les toilettes et se décide, sans trop y réfléchir, à l’aider. Avec un autre agent, P’tit Louis, il lui permet de quitter la gare : pas plus, pas moins. Pourtant quelques jours plus tard, quand il trouve Kamel endormi et malade sur un banc de la gare, il ne peut se résigner à rester indifférent. D’abord, un studio prêté par P’tit Louis sert de planque. Mais bientôt Alain l’invite à partager la modeste demeure où il vit avec sa maman. Soigné, Kamel se montre un hôte sympathique, qui se lie facilement d’amitié avec son entourage. Et même, aussi étrange que cela puisse paraître, avec Roland, le frère aîné d’Alain, ex-lieutenant de l’armée française au passé trouble pendant la guerre d’Algérie. Pourtant Alain déchante lorsqu’on présente Kamel en première page des journaux, comme le potentiel membre d’un réseau terroriste...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L’accroche éditoriale présentant le travail du binôme Piot-Vassant comme « un thriller implacable digne des meilleurs Douglas Kennedy » est un poil exagérée (non, non, juste un poil !). Pour autant l’ensemble est plutôt une jolie surprise, qui « thrillerise » à tout petit bouillon, mais qui happe son chaland comme un grand. La faute aux propensions humanistes de cette histoire d’amitié sur fond de confusion, d’amalgame et de racisme sous-jacent. Le décor est épais, qui bouscule une problématique sociétale faite des cicatrices du 11 septembre, du fondamentalisme islamique, des nécessités sécuritaires, de l’immigration et du passé encore douloureux qui anime l’Histoire de la France et de l’Algérie. Mais au-delà, il s’agit avant tout d’une histoire à niveau d’Homme et de sa capacité à donner à l’autre en toute confiance, aveuglé peut-être par sa propre humanité. Ici, le propos est construit autour d’une idée simple : faut-il écouter son cœur et sa raison ou laisser la rumeur – peut-être justifiée – guider ses choix ? C’est ainsi toute la question de l’engagement (pivot de la renaissance d’un des protagonistes principaux) qui est mise en mouvement. Pour autant, les quelques 140 pages se gardent bien de nous faire la leçon, surfant sur une trame à la fois crédible et conduite par un petit suspens en forme de cavale plutôt intelligemment menée. Bref, une chouette aventure humaine, griffée par la force de l’amitié et impeccablement mise en musique par ses dialogues, son rythme et son casting touffu. Le dessin de Sébastien Vassant offre quant à lui sa justesse, sa dynamique dans les planches et se révèle – à la manière d’Etienne Davodeau – le parfait support pour mêler action, émotion et sociologie.