L'histoire :
Au temps des croisades, dans une ville fortifiée en bordure de Méditerranée, un vieil évêque s'apprête à sanctifier publiquement une relique sacrée : la lance de Longimus, qui servit jadis à percer le flan du Christ en croix. Totalement grabataire et très faible, l'homme d'Eglise peine à brandir la relique au dessus de sa tête, depuis le fronton de la cathédrale où se tient la cérémonie. A bout de forces, il la lâche soudain dans le vide. La lance vient alors se ficher dans la poitrine d'un pauvre bougre qui se tenait dessous, le jeune Berto. Celui-ci s'en tire sans gravité. Un vrai miracle... qui est aussitôt exploité par l'entourage de l'évêque : ils voient en Berto l'élu de Dieu, celui qui anéantira les infidèles. En tout cas, cette version tombe plutôt bien car le peuple a besoin de croire en un nouveau messie. Berto lui-même peine pourtant à se croire investi d'une mission divine... Toutefois, il ne crache pas sur un peu de bon temps : le voilà chouchouté et sujet de mille attentions. Il bouffe, boit, roupille et fornique à tout vent. Au même moment, côté Musulman, on a vent de cet événement et on craint l'enthousiasme martial qu'il peut éveiller. Le sultan envoie donc une troupe recherche activement leur propre héros, Ferragus, le « guerrier sans heaume ». Ce colosse fou d'Allah, qui s'est jadis construit une réputation d'invincibilité, vit aujourd'hui terré dans une épaisse forêt. On le dit dément, alors qu'en réalité, il cherche juste à expier de terribles fautes. Parmi la troupe qui le recherche, une femme s'est pourtant fixé pour objectif de l'éliminer...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A travers ce one-shot historique de 132 planches, sur un dessin semi-réaliste stylisé, au crayonné doux et fort agréable, Lorenzo Chiavini fait une dénonciation féroce du pouvoir religieux. Sur un ton ni trop léger ni totalement sérieux, mais aigre-doux tout du long, les moindres composantes de la fiction de Chiavini focalisent en effet sur l'utilisation de la foi en tant qu'outil de manipulation. Ici, l'année et le lieu importent peu : on sait juste que l'époque est celle des croisades et que depuis leurs ports fortifiées méditerranéens respectifs, chrétiens et musulmans se livrent à une intense guerre de territoire. Dans ce contexte, la ferveur populaire et la foi s'avèrent donc des atouts de taille : la simple idée d'un héros investi de pouvoir occulte suffit à exhorter les armées à se surpasser. Ce sera le fumiste Berto (ou pas) côté chrétien ; et le tourmenté Ferragus côté musulman. Aucun d'eux n'a véritablement son destin en main, ni d'emprise sur l'image qu'on leur fabrique. D'ailleurs, ils n'en restent pas moins des hommes, avec des limites et des faiblesses différentes : Berto profite, oisif, tandis que Ferragus s'enferme sans sa culpabilité. Les deux sujets ne se rencontreront jamais non plus, en raison d'une narration qui alterne les séquences sans jamais les faire se confronter. L'idée est bien de renvoyer dos à dos deux « systèmes » ennemis et néanmoins incroyablement identiques dans leur conception du pouvoir. Il ne s'agit donc pas de singer l'une par rapport à l'autre : musulman et catholiques s'appuient toujours aujourd'hui sur les mêmes pernicieuses méthodes.
