L'histoire :
Deux mois que les grues et les engins de chantiers sont arrivés. Deux mois que les premiers bâtiments sont tombés. Et puis, allez savoir pourquoi, tout s’est brusquement arrêté. Les ouvriers ont déserté l’immense chantier, on a mis de grandes palissades tout autour. Ensuite les vigiles sont arrivés. Du coup, l’ensemble ressemble à une île. Et au bord de cette « île », vit la petite Jacqueline, dit Jacquot, qui aide à tout faire dans l’hôtel de son papa. Pour l’instant, son papa est très malade. Certains disent même qu’il n’en a plus que pour quelques jours et que seules les piqûres quotidiennes de morphine le soulagent un peu. Alors Jacquot fait ce qu’elle peut pour aider Thomas qui s’occupe, en attendant, de l’établissement. Et puis, un matin, la voilà intriguée par l’arrivée d’un drôle de client qui porte un étui à violon. Le bonhomme réclame plat du jour et bouteille de champagne, ainsi qu’une chambre pour rester quelques jours en pension. En attendant la bouteille, il livre quelques mystérieuses confidences à Jacquot : il se nomme Guillaume Desnos et pense que quelqu’un ne tardera pas à le réclamer. Et si on le demande, Jacquot devra prévenir Desnos en soufflant de toutes ses forces dans un gros sifflet. Elle sera payée pour ça et devra siffler plus fort encore si celui qui le recherche est un boiteux avec une grosse tête ronde. Un homme, avec une vraie gueule de traître, qui claudique en s’appuyant sur une canne avec un pommeau d’argent...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Films, séries télévisées, dessins animés, livres jeunesses, bandes dessinées… L’œuvre phare de Robert Louis Stevenson a déjà fourni à notre gourmandise moult adaptations mettant en scène le périple du jeune Jim Hawkins pour une chasse au trésor avec ses pirates inquiétants et sa kyrielle de rebondissements. Cette fois, pourtant, Sylvain Venayre et Jean-Philippe Stassen se démarquent du lot en proposant une version du roman originel bluffante. Certes respectueuse à souhait, mais offrant un véritable et judicieux travail de réappropriation. Ici, donc, on garde le rythme, la structure, les personnages – en changeant avec malice sexe et patronyme – ou la trame principale (et sa morale) pour se jouer de nos connaissances du roman en plaçant l’histoire dans un contexte nouveau et contemporain. Jim cède alors sa place à Jacquot, petite black vivant dans un quartier désœuvré ; et Long John Silver la sienne à Petit Jean Dargent, un boiteux magouilleur et dangereux. La fameuse île est, quant à elle, un énorme chantier de réhabilitation immobilière. Et enfin, le trésor est constitué de mallettes contenant 200 millions d’euros, a priori pas bien propres. Ainsi le scénario superpose à l’intrigue originale une chronique sociale amère parfaitement à sa place dans l’exercice proposé. De même, en faisant des moments forts du roman (luttes, meurtres, rencontres inattendues, renversements imprévus…) des points d’encrage de leur adaptation, les auteurs tissent une intrigue une nouvelle fois captivante et aux velléités anxiogénes d’une redoutable efficacité. Au final, pris à part, ce « nouveau » récit se révèle être un excellent thriller, noir et violent. Une violence qui existait d’ailleurs chez Stevenson. Mais l’exotisme, l’esprit aventureux (bateaux, flibuste…), le charisme poupon du héros principal (c’est nettement moins le cas ici) nous l’avaient un peu fait oublier pour qu’on en fasse principalement un récit pour gamins, alors que… Bref, une vraie belle idée, intelligente, démontrant l’incroyable intemporalité et universalité du roman. Un projet en tout cas admirablement mis en images par la force expressive du graphisme de Jean-Philippe Stassen, capable avec évidence de porter chaque personnage vers son destin : plans multiples ; profondeurs des regards ; choix des mouvements ; justesse des couleurs distillent l’émotion avec brio.