L'histoire :
Automne 1871, Paris. Auguste Bretagne est feuilletoniste pour la Gazette de Paris, journal pour lequel il livre régulièrement les aventures sanglantes du professeur Maldanar. Ce matin là, l’écriture d’un de ses feuillets est interrompue par l’arrivée devant sa porte d’un drôle de paquet : une tête humaine. Le pire c’est qu’il ne s’agit pas de la première livraison du genre. Aussi décide t-il de se rendre dans les locaux de la première division de la police judiciaire de Paris où son frère Maxime officie comme inspecteur. L’enquêteur ne tarde pas à lui faire la démonstration qu’il a affaire à de coquins plaisantins : la tête est en cire et l’imagination de l’écrivain a fait le reste. Le policier n’a d’ailleurs pas de doute sur l’identité des responsables de ce drôle de petit jeu : « le cercle des zutistes », une bande avant-gardistes qui veut faire la peau aux académiques de tous poils. Bretagne en fréquente l’une d’entre eux avec assiduité : la belle Emily, à qui il fait partager sa couche dés qu’il le peut. C’est d’ailleurs au saut du lit, qu’un matin, il révèle à sa maitresse l’un de ses secrets. Il loge dans l’ancien appartement d’Isidore Ducasse, le Comte de Lautréamont. Et il a trouvé dans une vieille malle les exemplaires d’un des livres du poète, qui l’a littéralement envouté : Les Chants de Maldoror, une œuvre horrifique, un cauchemar sublimissime et prenant… dont il ne connait pourtant pas encore tous les secrets.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C’est d’abord une idée réjouissante qu’offrent Corcal et Edith à notre compulsive phylactèrophilie. Imaginez plutôt : le présent ouvrage remettrait en cause, comme nous l’affirment couverture et préface, toute l’histoire de la bande dessinée. Ni plus, ni moins ! Cette pépite serait également l’œuvre d’Eugène de T.S et d’Auguste Bretagne qui poseraient ainsi dés 1874, sous le doux nom de « figuration poético-narrative », les bases de la BD. Là : ça en bouche un joli coin, non ?! C’est ensuite, lorsqu’il s’agit d’examiner le contenu, une mine à joyaux inattendus. Car en prenant pied dans le récit des surprenantes découvertes d’Auguste Bretagne –feuilletoniste de maigre envergure que le destin a poussé à louer la chambre autrefois occupé par le sulfureux et licencieux Isidore Ducasse (dit Comte de Lautréamont) – c’est une tempête aux accents policier et fantastique qui nous est promptement proposée. Poète intriguant, peyotl malicieux, piano bavard, écritures cachées – qui se révèlent sous la chaleur d’un incendie – ou relations masculines contre-nature s’invitent alors dans une étrange farandole pour mettre à nu un 7ème Chant de Maldoror jusqu’alors inconnu…Pourtant, vous ne tarderez pas à comprendre qu’il s’agit là d’un jeu dans lequel Corcal et sa géniale dessinatrice mêlent fiction et personnages qui ont existé (avec en vedette particulièrement Rimbaud). Le prétexte de ce document inédit soi-disant constitutif de l’art séquentiel est surtout l’occasion de convoquer le Paris littéraire de la fin du XIXéme siècle pour un hommage inventif et jubilatoire. Recourant à une narration judicieuse, rythmée par une semi-intrigue policière aux accents fantastiques, l’ensemble emprunte la même musique que les nouvelles d’Edgar Allan Poe et consorts. Le bouillonnement créatif avant-gardiste, sa poésie brute aux douceurs hallucinogènes, ainsi que « l’atmosphère » parisienne sont parfaitement rendus. Du coup, on se laisse prendre au jeu de cet hommage nimbé d’humour et parfaitement captivant, au son d’une intrigue inventive. Le tout est habilement mis en dessin par le trait si identifiable d’Edith, toujours impeccable à distiller les atmosphères anxiogènes, mystérieuses tout en sachant les dédramatisées.