L'histoire :
Dans un pré à la lisière d’un bois, un troupeau de moutons se met en alerte, prend peur et s’éloigne soudain de la lisière. Au même moment, la petite Amandine, son doudou-lapin à la main, attend sa maman à l’école. Elle est la dernière que sa maman vient chercher, Amandine pleure. Quand sa mère arrive, elle ne la ménage pas, et ça dure pendant toute la session au supermarché. Sa mère s’agace de tout ; et surtout d’elle. Au rayon des alcools forts, sa mère rencontre la fleuriste. Elles évoquent ensemble le sujet local du moment : Marina et Victor, deux jeunes du bourg, ont fugué ensemble, avec leurs sacs à dos et leurs duvets. Au bistrot du coin, entre deux tirages du loto à la télé, on évoque le même sujet. De fait, les gendarmes (les « bleus » comme ils les appellent) n’arrêtent pas de passer devant la vitrine, pour chercher les ados. Dans son salon de coiffure, la coiffeuse commente tout ce qu’elle peut commenter à l’intention de ses clientes. Au bistrot, un chasseur parle d’un tout autre sujet : il a trouvé un mouton mort et dépecé par un prédateur. Les gars de l’office des forêts affirment que c’est un chien sauvage. Mais lui sait bien qu’il s’agit d’un loup ! Et que personne ne le dit pour ne pas avoir à indemniser les éleveurs comme le propose la loi pour la réintroduction…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Tout part de deux faits divers relativement banals, dans un bourg du Limousin : deux ados ont fugués ensemble ; et il parait qu’un loup aurait croqué un mouton. L’un et l’autre sont tout à fait plausibles et courants, et n’ont pas de quoi déborder de la scène médiatique locale. En tout cas, cet ouvrage les aborde à travers un ton sérieux et réaliste. Sur ce double contexte, Cyril Henry fait comme Fabcaro avec son fameux Zaï zaï zaï zaï, le ton grave remplaçant l’humour froid et nonsensique : les séquences chorales s’enchainent sans transition, montrant les commentateurs divers qui enfoncent les portes grandes ouvertes des réactions démagogiques et/ou primaires et/ou convenues et/ou « du bon sens populaire »… La meute dont il est question n’est pas tant celle des loups qui hantent de nouveau les bois du Limousin, que celle de nous autres, « braves » contemporains perclus de réactions trop souvent imbéciles. Tous ces protagonistes disparates, qu’on découvre par bribes, sont les mêmes qui se ruent sur les rayons de PQ des supermarchés lorsqu’on évoque une potentielle pénurie. Aude Samama met en scène et dessine cela à l’aide d’une jolie peinture acrylique, dont le défaut de ne pas toujours réussir à faire se distinguer les personnages est aussi un avantage de prendre de la distance. En creux, le propos aborde certes aussi l’enfance désœuvrée et les lacunes éducatives parentales standards… Mais le vrai sujet, traité avec subtilité, nous pousse vraiment à nous interroger sur nos réflexes sociaux, comme autant de codes inutiles devenus la norme. Nous sommes à la fois une meute de loups et une meute de moutons.
