L'histoire :
Dans les années 90, Stéphane et ses amis se griment et se préparent afin de participer à une soirée thématique sur la belle époque. Alors qu’il descend l’escalier, sa mère le regarde avec les yeux emprunts de nostalgie : elle semble reconnaître en lui son grand-père Bernard. 15 ans plus tard, à l’occasion du décès de sa grand-mère, Stéphane retourne à Selles-sur-Cher. Etrangement, c’est plutôt l’image mythique de son grand-père, qu’il n’a jamais connu, qui l’obsède. Il se souvient, étant enfant, de la maison campagnarde de ses grands-parents, décorée de meubles et d’objets d’un autre temps, quasi-surnaturels. Le calendrier 178 dans les toilettes, la comtoise qu’il faut régulièrement remonter, la table à manger cirée aux pieds sculptés en forme de sanglier. L’imagine du sanglier lui semble parfaitement adapté à la personnification de cet aïeul mythique. Alors il s’abandonne à ses pensées, dans des pièces lourdes de passé, reconstruisant selon son imaginaire les souvenirs qu’on lui a racontés. En 1942, durant l’occupation, Bernard, le grand-père à tête de sanglier, est un paysan bon vivant habitant non loin d’un poste frontière contrôlé par les boches. Il est connu et apprécié de tous, menant tantôt la chèvre aux clients, saluant tantôt l’ami pêcheur… Et servant aussi de passeur pour ses amis résistants !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il suffisait de (re-)créer Futuropolis pour donner envie à Stéphane Levallois de refaire de la BD ! Après Le dernier modèle l’année dernière, le voilà de retour avec une œuvre hommage à son grand-père résistant… et hommage aux héros de la résistance dans leur ensemble. Or, étant donné que ce grand-père mythique est décédé avant qu’il ne naisse, l’auteur ne s’est pas senti la « légitimité » de le dessiner de manière réaliste. Il a donc eu recours à une métaphore zoomorphique, inspirée par la symbolique du sanglier (le pied de la table à manger !). Ça vous est forcément arrivé, au cours de votre enfance, d’assimiler une fois pour toutes ce type d’imagerie à une personne, non ? Robuste, sauvage, libre et solitaire, l’animal se prête en effet pas mal à l’incarnation du courage et de l’abnégation du résistant. Le biais narratif est donc un peu celui de du célèbre Maus d’Art Spiegelman, en tout aussi poignant mais en moins virulent. Dans un premier temps, on fait connaissance avec le souvenir omniprésent de ce grand-père sanglier. Puis, dans le flashback central, on le côtoie, on apprécie sa « force tranquille », son abnégation légèrement inconsciente et on affronte avec lui l’ignominie des années d’occupation. Tout en pudeur, la plupart du temps le récit de Levallois est muet, laissant la puissance du dessin, au lavis noir et blanc, parler à la place des mots. Car visuellement, en parcourant ces planches d’une puissance évocatrice rare, on se prend une nouvelle claque ! Levallois montre un talent fou pour retranscrire ses émotions sur papier, pour les partager avec le lecteur, avec parfois deux fois rien dans la case. Un fabuleux travail de Mémoire, par contumace…
