L'histoire :
Lorsque, dans les années 70, les hypermarchés du grand A obtiennent l'autorisation de s'installer à Noyelles Godault, après un refus du maire d'Hénin-Beaumont, peu de gens imaginent que l'implantation va totalement changer la vie des habitants de la région. Le centre ville d'Hénin se désertifie, les commerces ferment les uns après les autres. Alors que les marchés hérités du moyen-âge animaient la ville depuis des siècles, toute la dynamique commerciale se déplace vers ce qui va devenir le plus grand hypermarché de France. A mi-chemin entre le constat d'impuissance et la compréhension d'une évolution inéluctable, ceux qui ont vécu la grande évolution témoignent, au premier rang desquels un enthousiaste directeur de magasin qui ne pense qu'au développement de son enseigne. Les emplois se multiplient dans les rayons, aux caisses, et même sur le parking avant les heures d'ouverture, au même rythme que le centre d'Hénin perd son animation et voit ses surfaces commerciales remplacées, aux dires de certains habitants, par des kebabs. Derrière l'impressionnante mécanique de la grande distribution se cachent évidemment des méthodes peu reluisantes pour faire baisser les prix, réorienter complètement le travail des producteurs fournisseurs vers l'efficacité et le coût le plus bas. Mais dans un bassin au passé industriel en partie révolu, ce sont pourtant ces prix bas qui permettent à beaucoup de gens d'accéder, par exemple, à des courses de Noël abordables, et au sentiment de participer à la fête...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Xavier Bétaucourt et Jean-Luc Loyer sont à nouveau associés pour raconter, tels des sociologues, une tranche d'histoire contemporaine. Après l'histoire de Metaleurop en 2006, les auteurs proposent cette fois un reportage sur l'implantation et le développement de l'hypermarché Auchan de Noyelles Godault. Ils se donnent la peine de construire une mise en perspective historique qui va des premiers échanges commerciaux aux galeries marchandes de l'époque moderne, dans une forme de raccourci très intéressante. Ils structurent leur récit autour de témoignages qui, finalement, ne prennent pas position, mais dessinent la logique de la désertification des petites villes et du développement de ces zones commerciales immenses, dont les parkings sont les symboles impressionnants. Sur le plan narratif, leur album n'utilise pas réellement le potentiel de la bande dessinée et touche les limites de ce que le média peut apporter. Les interviews retranscrites sont instructives, certaines contre-plongées sur les rayons noirs de monde sont visuellement réussies, mais l'absence à la fois d'une vision artistique ou d'un propos politique, limitent la portée de leur travail. Il reste une belle somme d'informations chronologiques délivrées avec soin, et la réflexion nécessaire sur l'impact de notre comportement individuel face à ces temples modernes de la consommation. Les notes en postface nous y invitent avec à-propos.
