L'histoire :
Dans le Naples de l’après-guerre, au cœur d’une cour toujours à l’ombre mais traversée par des éclats de lumière capricieux, grandit un enfant livré à lui-même. Erri, jeune orphelin, observe les autres garçons jouer au football. Un jour, pour récupérer un ballon perché sur un balcon, il grimpe le long d’une gouttière et se retrouve face à une apparition : une petite fille aux yeux verts, mystérieuse, qui le fixe en silence depuis son perchoir du troisième étage. Elle devient aussitôt une énigme obsédante pour lui, un horizon secret en quelque sorte... L’immeuble où il vit fourmille de personnages hauts en couleur : une dame de la haute avec ses trois chiens empêtrés, un professeur qui compose des vers déjà écrits par d’autres, une veuve perpétuelle dissimulée sous sa voilette, ou encore Cumoglio, comptable ruiné par la fermeture éclair puis les matelas à ressorts. Tous cultivent leur différence, comme une règle tacite du lieu : « Soyez distincts les uns des autres ». Erri, orphelin malgré lui, a trouvé refuge au rez-de-chaussée, dans un réduit. Entre les murs, il s’accroche à la liberté plus qu’à l’abandon. Dans la loge du concierge, Don Gaetano, il trouve protection, chaleur et récits. Gaetano lui aussi a été orphelin. Il lui offre chaque matin un verre de lait chaud et quelques souvenirs en partage, comme pour lui donner une filiation symbolique que le destin lui a refusée.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
« Le désir des enfants donne des ordres à l’avenir. L’avenir est un serviteur lent et fidèle. » Cette phrase prononcée par Anna résonne longtemps après la lecture et dit à elle seule la poésie qui traverse Le jour avant le bonheur. Adaptée du roman d’Erri De Luca paru en 2009, cette bande dessinée signée Didier Tronchet et Christian Durieux réussit le pari délicat de transposer un récit dense et autobiographique dans un médium BD. On y suit Erri, jeune orphelin, sous la protection du concierge Don Gaetano, dans un Naples populaire d’après-guerre où chaque voisin incarne une petite fable humaine. Car il y a bien trois protagonistes : Erri, Gaetano… et l’immeuble lui-même, avec ses habitants fantasques, poétiques ou tragiques. Au fil des pages, on croise les dépannages de plomberie, le football des cours d’immeuble, la mystérieuse jeune fille aux yeux verts qui cristallise le désir d’avenir. Derrière cette chronique d’apprentissage, on devine une part autobiographique : De Luca, issu d’une famille bourgeoise ruinée, a grandi dans un quartier populaire de Naples, ce qui imprègne chaque scène de vérité sensible. Tronchet, grand amateur de football et fin observateur de la condition humaine, insuffle sa sensibilité et son humour discret au récit. Le dessin de Durieux, lumineux et délicat, prolonge cette tonalité poétique. Ses couleurs, à la fois chaudes et nostalgiques, donnent aux ruelles et aux visages une profondeur émotionnelle rare. Même la couverture, avec ses papillons virevoltant et son regard émerveillé, résume l’esprit du livre : un mélange de gravité et de grâce. On sort de cette lecture ému, habité par cette atmosphère unique où l’ordinaire se teinte de merveilleux. Une très belle adaptation, fidèle au souffle de De Luca et vibrante d’humanité.