L'histoire :
En débarquant à Buenos Aires en 1968, Duke Ellington ne pose qu’une question au journaliste qui l’aborde à son arrivée dans l’aéroport argentin : « Avez-vous des nouvelles d’Oscar ? Oscar le guitariste… Vous voudrez bien le chercher pour moi n’est ce pas ? ». A l’évidence l’intervieweur n’a jamais entendu parler de ce musicien et sait encore moins ce qu’il est devenu. Quand quelques heures plus tard, il obtient par hasard, le téléphone d’Alemán, c’est pour s’entendre dire du guitariste qu’il souhaite seulement vieillir en paix… Mais que peut bien représenter aux yeux du Duke en personne ce guitariste oublié ? La première rencontre des deux hommes a lieu au Casino de Paris en 1933. Bien malgré lui, Duke Ellington évite à Oscar Alemán de se faire réprimander : leader des Baker Boys qui accompagne la féline Joséphine Baker, il s’est fait attendre et a failli faire rater le numéro. Néanmoins, le retard n’a pas été assez conséquent pour l’empêcher d‘éblouir, par son set virtuose, le célèbre jazzman, qui n’a qu’une hâte : faire un jam endiablé avec le petit génie. Malheureusement l’aventure en reste là, car même si Oscar se voit proposer un cachet triplé et une tournée aux USA, il n’intégrera jamais l’orchestre et ne prendra pas l’avion : la divine Joséphine refuse de se faire voler cette perle rare et fait valoir le contrat qui les lie…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Mélomane inconditionnel de jazz et de Django Renhardt en particulier, Gani Jakupi découvre par hasard un documentaire argentin sur un artiste des années 30. Selon ce petit film, Oscar Alemán aurait été, à l’époque, un musicien de génie rivalisant sans rougir avec le grand Django. Et pourtant rien, ou presque, peut-être quelques lignes dans des encyclopédies musicales hyper pointues : le jazzman prodige avait, sans le vouloir, réussi le tour de force de devenir extra transparent… On comprend alors sans difficulté le titre de cet ouvrage qui, via une construction originale, fait le pari de la réhabilitation. A la manière d’un enquêteur de terrain (le plus, c’est qu’il nous laisse croire qu’on fait le travail avec lui…), Gani Jakupi rassemble le puzzle en quelques dates repères qui oscillent, telles un métronome, entre fulgurants moments de gloire et misère absolue : les rues de Santos au Brésil, les premiers accords tirés sur le cavaquinho, les palaces parisiens, les grands musiciens, le manque de chance qui empêche d’exploser, le remord chevillé viscéralement… Un parcours qui, s’il a la veine romanesque de beaucoup de ceux qui accompagnent les destins fabuleux, se démarque par cet incompréhensible tombée dans l’oubli. Pour accompagner ce moment touchant, rien de tel qu’un graphisme subtilement coloré, dans lequel la peinture garde son épaisseur et où les cases s’enchainent en de petits tableaux. Une petite musique en quelques sortes, un dernier hommage à l’artiste de génie…