L'histoire :
Point de scénario ici, mais de courts chapitres tentant à la fois de retracer l’histoire du pays et d’en livrer un portrait actuel. Histoire récente et période communiste se combinent à travers quelques destins saisissant l’horreur du stalinisme ou l’âpreté de la vie pendant la guerre froide. Voici quelques témoignages : Serafima Andreivna se confie à Igort. Elle avait 5 ans en 1932. Elle se souvient de « l'holodomor », l'extermination par la faim (institué par Staline contre le peuple ukrainien). Il n'y avait que des racines, des hérissons à manger, le pain se faisait avec du foin. 25% de la population fut décimée, des cas de cannibalisme furent même recensés. Nicholaï Vasilievitch raconte la dureté de sa vie. Au moment de la Seconde Guerre mondiale, les nazis ont envahi son village. Au nom de l’idéal communiste, Staline a par ailleurs institué le travail forcé dans les kolkhozes, la dékoulakisation et la réquisition excessive de denrées. Malgré la mort de Staline, la vie de Nicholaï ne s’est pas améliorée, bien au contraire… Les témoignages sont entrecoupés de portraits d’Ukrainiens ou de dirigeants soviétiques, ainsi que de récits historiques, circonstanciés.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Lorsqu’une idéologie nie le principe de réalité, cela donne l’« holodomor », l’extermination par la faim du peuple ukrainien (entre 2.6 et 5 millions de victimes entre 1931-1933). Igort se livre ici à l’exercice délicat du récit-témoignage (ou de la bande dessinée reportage). Délicat, car le risque de céder à la facilité du pathos est grand, surtout quand le récit prend le parti des victimes. Malgré quelques défauts plus ou moins gênants, ces Cahiers ukrainiens servent correctement la cause qu’ils entendent éclairer. Igort s’est entretenu avec des Ukrainiens qui ont vécu les terribles famines soviétiques, mais aussi la guerre froide ou l’accident de Tchernobyl. Igort s’emploie donc à montrer les aspects les plus sombres du stalinisme à travers ses manifestations les plus désastreuses (collectivisation forcée, dékoulakisation, privations, réquisitions…). Concernant les défauts, les quelques prises d’otage lacrymales, versant parfois dans la sensiblerie, pourront agacer. De même, pour les coquilles et les fautes d’orthographe trop récurrentes. Néanmoins, cette BD reportage présente aussi des qualités : l’auteur évite notamment l’écueil de l’esthétisation à outrance de l’imagerie communiste. Staline, le « petit père des peuples », est par exemple dessiné sous des traits fatigués, les yeux soulignés par de profonds cernes. Aussi, le rouge utilisé est-il toujours terne, délavé, comme le symbole d’une idéologie démodée. Et surtout, le livre, par sa valeur didactique et informative, a le grand mérite de mettre en lumière un événement historique oublié : la grande famine ukrainienne de 1932. En creux, par l’analyse des conséquences et le récit de destins tragiques, Igort s’attache à décrire le stalinisme dans sa radicalité la plus sournoise. A l’heure du retour sur la scène philosophique de l’hypothèse communiste, comme alternative au capitalisme (Alain Badiou, Slavoj Zizek), Igort nous rappelle à une réalité plus sommaire. Un ouvrage dont la valeur mémorielle est salutaire.