L'histoire :
A la fin du XIXème siècle, la cité portuaire et minière de Sulaco, petite ville du Costaguana, est la proie d’une révolution. La populace boute le feu aux traverses de chemin de fer et tente de s’emparer du bâtiment des douanes. Un homme à poigne et à cheval se fait respecter dans le tumulte et permet l’exfiltration du président Don Vincente Ribiera et bien d’autres notables à bord d’un clipper qui mouille à quelques encablures dans le Golfo Placido. Cet homme est le capitaine des cargadores du port (les dockers) et on l’appelle « Nostromo » (littéralement, en italien, « Notre homme »). Les « peones » le respectent pour ses qualités de meneur, sans qu’il ait besoin de faire usage de violence. Quelques mois plus tôt, Nostromo s’était déjà révélé providentiel pour assurer la sécurité du convoi menant Sir John, président du conseil d’administration de la compagnie des chemins de fer, venu à Sulaco pour l’inauguration d’un chantier destiné à désenclaver la ville. Ce jour-là, Sir John avait fait la connaissance de Charles Gould, propriétaire de l’importante mine argentifère, qui fait le gros de l’activité économique de Sulaco…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avant d’être le nom du vaisseau dans Alien, Nostromo est un roman de Joseph Conrad (publié en 1904). Sans doute pas le plus connu, en raison de sa difficulté d’accès, mais sa construction narrative complexe et ses procédés stylistiques pointus en font un bijou pour les amateurs d’art littéraire (classé 47ème meilleur roman de tous les temps publié en langue anglaise). Pour sa première œuvre en tant qu’auteur complet, le jusqu’alors dessinateur Maël ne fait donc pas dans la facilité ! Son ardent désir d’adapter cette œuvre exigeante a sans doute aussi limité la liste des potentiels scénaristes… A des fins d’accessibilité, Maël réduit les analepses et prolepses à une construction plutôt linéaire, mais il conserve la dimension chorale de la narration. Ce premier opus du diptyque annoncé laisse donc découvrir un pays imaginaire d’Amérique Centrale, le Costaguana, perclus de tensions révolutionnaires, de despotisme local, d’esclavagisme minier et de passions amoureuses torturées. Il est vraiment ardu de s’identifier ou se passionner pour untel ou unetelle, tant les profils psychologiques rustres dans le fond et non inclusifs dans la forme nous échappent à travers cette narration alambiquée. Le cadre lui-même, entre l’aridité des paysages, le clinquant des palais décorrélé des réalités de la paupérisation, ne suscite pas un imaginaire de rêve. En revanche, comme toujours chez Maël, le dessin – un trait fin, tremblotant mais juste, rehaussé d’une colorisation au lavis – est virtuose, en toutes situations. L’historien (et scénariste de BD) Sylvain Venayre rend hommage à cet ambitieux projet d’adaptation en postface. Une fois bouclé, le diptyque devrait conférer toute la puissance homérique d’une œuvre profondément pessimiste sur la condition humaine.