L'histoire :
Après avoir fait le cauchemar d’un crash d’avion, Achille se réveille dans son presque vieil appartement. En effet, c’est aujourd’hui qu’il signe à l’agence immobilière pour devenir propriétaire d’un petit deux pièces à rénover. Il déambule à travers les cartons, prend un cachet, un café et quelques heures plus tard, il se présente à la concierge pipelette de son nouvel immeuble. Celle-ci lui raconte que c’est elle qui a trouvé la précédente occupante des lieux, une gentille mamie, morte dans son fauteuil devant la télé. Achille s’en débarrasse au plus vite. Une journée passe, morose, terriblement morose. Achille trimbale une forme de deuil depuis qu’il vit (de nouveau) seul. Une épingle à cheveux tombe de la bibliothèque qu’il est en train de ranger. Elle lui rappelle la récente présence de sa compagne. Achille essaie d’oublier. Il s’enferme dans les travaux. Broyer une cloison à coups de masse. Evacuer des gravats. Arracher le lino. Or sous ledit lino du palier, il trouve une vieille lettre adressée 40 ans plus tôt à l’ancienne propriétaire ! Le facteur avait dû la glisser sous la porte, donc sous le lino, et la pauvre mamie n’en a jamais eu connaissance. C’est une lettre d’amour de 1976 : un certain Tristan Vlanek l’invite à le rejoindre à Marseille pour faire vie commune. N’aurait-elle jamais su qu’elle aurait pu éviter une vie de célibataire ? Cette lettre perturbe Achille et entre en résonance avec son propre chagrin. Il prend une décision un peu dérisoire : descendre à Marseille afin de retrouver ce Tristan Vlanek et lui expliquer le coup de la lettre jamais arrivée. A bord de sa vespa, il va mettre une bonne semaine à travers les petites routes de France, mais tant pis. Il réunit aussitôt ses affaires de camping exhumées des cartons…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le point de départ de ce one-shot est un classique. C’est le coup du courrier qui arrive à sa destinataire avec un retard d’une bonne quarantaine d’années. En l’occurrence trop tard, puisque ladite destinataire est morte. Grégory Mardon en profite pour faire une juste évocation du temps qui passe, impalpable et dérisoire. Cela dit, son récit dépasse cette intention. Il est ici surtout question de se reconstruire, de réinventer une manière d’appréhender la vie après une séparation douloureuse. Dans les premières pages, on ignore cependant pourquoi le héros se retrouve seul. Est-ce un vrai deuil ? Un placage sauvage ? Il faudra l’entièreté du bouquin pour comprendre le profond spleen du personnage central. Cela dit, avec ce one-shot, Mardon fait une véritable prescription médicale et offre la solution du recul, du voyage, de l’ouverture vers ailleurs. La solitude réelle de son héros se vit dans le monde extérieur, la foule estivale et la traversée d’innombrables paysages dignes d’une chanson de Charles Trenet. Finalement, le courrier méconnu n’est qu’un prétexte de départ, offrant l’opportunité d’un recul nécessaire. Le voyage du héros ombrageux (cf. la couverture) à travers la beauté plurielle de la France lui permettra de faire son deuil, et au lecteur de comprendre et partager les causes de ce deuil. Mardon excelle véritablement dans le rythme et la mise en scène. La justesse des cadrages dans lesquels s’inscrit son dessin semi-réaliste stylisé et moderne participe pleinement d’une narration cinématographique. La voix off et les silences s’alternent magnifiquement pour soulever la réflexion et faire pénétrer l’émotion, le goût de la vie. On en entendrait presque une bande son, par moments. Il est très fort, ce Grégory Mardon.