L'histoire :
Lucien Lurette, acteur ambulant, arrive un beau jour à pieds par un sentier au village. Des enfants qui torturent un chien lui indiquent fort peu aimablement la route. Puis il tombe nez à nez avec un gars tout nu, qui se cache derrière le socle de la statue d’un ange féminin tenant en mains un livre et une épée. C’est Jeannot. Il est poursuivi par les gars du village qui veulent lui faire la peau, car il serait porteur d’une maladie contagieuse : la remordingue. Lucien l’aide furtivement à se cacher dans un arbre. Mais quand les villageois arrivent à sa hauteur et qu’ils expliquent que la remordingue s’attrape quand on a la conscience pas nette, Lucien dénonce la cachette du Jeannot. Le pauvre hère refuse de descendre. C’est alors qu’il glisse sur une branche, tombe et s’empale sur l’épée de la statue. Les villageois s’accordent en cœur pour dire qu’il s’agit d’un suicide. Puis ils escortent Lucien Lurette jusqu’au village, où il fait connaissance de « Monsieur le Conte » et de bien des personnages folkloriques. Il y a la tenancière de l’auberge locale, Irène ; le colporteur, Victor ; le concierge de l’église ; le curé qui fait croire qu’il s’est suicidé en restant cloitré dans son lit… Tout le monde pense que Lucien est venu pour résoudre les mystérieux crimes en série. Car dans ce village, déjà 33 personnes ont été assassinées ! C’est-à-dire presque la moitié de la population. Et un vent de fatalité désabusée souffle. A défaut de résoudre l’enquête, on attend de lui qu’il exprime… une idée ! Après tout, avoir de l’inspiration, c’est la moindre des compétences d’un acteur.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Récompensé par le prix du meilleur album à Angoulême en 1997, Qui a tué l’idiot est aujourd’hui réédité par les éditions Futuropolis. Cet album iconoclaste jadis publié par Casterman avait à l’époque révélé son auteur, Nicolas Dumontheuil. Néanmoins il faut être tout à la fois amateur de comedia del’arte, de théâtre de l’absurde (Ionesco, Beckett) et d’humour noir pour apprécier cette histoire loufoque. Ici, rien n’est réaliste, tout est caricatural à l’excès, tout est pris à revers, sur fond d’enquête autour d’un mystérieux serial-killer, au sein d’un village où tous les habitants prennent l’affaire à la légère. La trame narrative s’appuie sur des dialogues savoureux, des personnages folkloriques et s’amuse à malmener, dévier, torturer les conventions sociales. C’est d’une originalité folle, mais cela perdra assurément les amateurs de polar et d’enquêtes cartésiennes. « L’affaire » est avant tout un prétexte nonsensique à se moquer de la condition humaine et des bassesses ordinaires en milieu rural replié sur lui-même. Le dessin est caricatural en diable, virevoltant, virtuose, avec des cases bien remplies – ce style deviendra la signature Dumontheuil. Les trognes des villageois, leur expressivité volontairement outrancière, les vues panoramiques ou plongeantes sur ce milieu rustique, les séquences délirantes… tout est équilibré et juste-à-propos. La réédition de cette pépite s’accompagne d’un épilogue de 3 pages (publié dans le dernier numéro du magazine (À suivre)) et d’un joli cahier graphique final.