L'histoire :
Athènes, octobre 1936. Ce jour là, Stavros se lève, enfile son costard, attrape son bouzouki (instrument à corde) et sort pour rejoindre « la ruche ». Il est joueur de Rébétiko, une musique enivrante qui prend tout son sens quand on en profite en fumant le narguilé ou le haschich. Dehors, il est interpelé par Chiotis, un petit caïd qui se plaint de la qualité du hasch que Stavros lui a refilé : du vrai cirage. Stavros lui envoie son pied dans les burnes et le ridiculise sur la place publique, lui broyant au passage la main d’un coup de talon. Le « Rébète » rejoint ensuite son ami Batis, au fond d’un bouge enfumé. Vautré contre un mur, Batis fume le narguilé en compagnie de femmes dénudées. Plus tard, ils rejoindront Artémis, un autre Rébète, déjà bien défoncé à cette heure matinale. Ensemble, ils vont cueillir un 4e ami, Markos, à sa sortie de prison. Craignant l’amollissement moral et l’imputant à la part orientale de son peuple, la Grèce dictatoriale de cette époque a en effet déclaré la guerre à cette communauté de sang turque, qui passe sa vie à s’enivrer au son du bouzouki…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le Rébétiko, quésako ? Cette musique clandestine était jouée dans les tékés stambouliotes du côté de Smyrne, à la fin du XIXe. En se répandant à Athènes dans les années 20, ces chansons sociales et protestataires, aux accents orientaux, furent assimilées à la pauvreté, à la délinquance des bas-fonds. Evidemment, présenté ainsi, le sujet parait austère et d’une bien curieuse inspiration. David Prudhomme en tire toutefois une histoire solide, d’une centaine de planches, d’une maîtrise narrative et graphique virtuose. D’une aube à l’autre, on suit la journée « ordinaire » d’un groupe de 4 amis musiciens, qui s’affranchissent de l’étau politique autoritaire pour profiter de la libre oisiveté de leur art. Ils fument, dansent, se saoule, se battent, fuient, profitent avec une extase toute particulière de leur vie, comme s’ils étaient en communion avec un être divin. Prudhomme saisit incroyablement l’ivresse, et restitue l’ambiance des bouges d’Athènes des années 30. Mais au-delà du sujet folklorique, il remue des questions essentielles, comme l’influence d’un art sur la marche d’une civilisation, ou des sentiers de perdition parfois nécessaires à tutoyer la muse. Chaque discipline artistique, de tous temps, semble se nourrir de drogues. Révélateurs, inspirateurs, les paradis artificiels conduisent souvent les créateurs à dépasser leurs barrières mentales, à rapporter des pépites des territoires d’ivresse. La BD, comme le Rébétiko n’y font pas défaut. L’album est d’ailleurs encensé par les collègues et pas les plus manchots (Larcenet, Guibert, Davodeau, Sfar…). Déjà primé au festival quai des bulles, l’album serait également en bonne place sur le podium d’Angoulême 2010…
