L'histoire :
En 2008, le français Olivier Morel, réalisateur de films documentaires, est en cours de procédure pour devenir citoyen américain. En marge de son métier d’enseignant universitaire dans l’Indiana (prof de français), il s’intéresse notamment aux vétérans de la guerre d’Irak. Un bête reportage radiophonique sur ce sujet lui a mis la chair de poule et depuis ce choc, il lui est devenu nécessaire de consacrer un documentaire aux jeunes soldats en proie au stress post-traumatique. Afin de recueillir un maximum de témoignages, il se fait accueillir pour une soirée chez Kevin, un vétéran qui en a invité beaucoup d’autres. Au milieu des convives, Olivier Morel se sent étranger et craint d’être inapte à cerner la réalité de leur trouble. Il noue néanmoins des contacts et prend des rendez-vous. Il rencontre ainsi Ryan, barbu, le regard vitreux, assurément alcoolique et dépressif. En Irak, Ryan a été la cible d’une attaque, alors qu’il était au volant d’un blindé. Son camarade passager à sa droite y était resté. Les rebelles irakiens aussi, dégommés par ses autres camarades. Depuis lors, Ryan ressent parfois le besoin d’aller méditer dans le désert Mojave. Ses meilleurs amis sont une bouteille de whisky et son flingue, jamais très loin de sa tempe…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En 2010, le réalisateur Olivier Morel a consacré un film documentaire aux troubles post-traumatiques éprouvés par les vétérans américains de la guerre d’Irak : L’âme en sang (diffusé sur Arte en 2011). S’il vous fallait un choc pour comprendre la teneur du désastre, en voici un : le nombre de suicides de vétérans est aujourd’hui supérieur à celui des soldats tués sur le sol irakien. 70 000 vétérans de l’après 11 septembre sont atteints de graves troubles psychologiques. 22 mettent fin à leur vie chaque jour. Evidemment, vu cet état des lieux, les témoignages des 6 soldats du film sont poignants et parlants. Frustré de ne pas avoir pu tout dire dans le film – et notamment concernant les projections psychotiques, la superposition du présent et du passé, les mondes intérieurs – Morel a ressenti le besoin de compléter sa démarche par une bande dessinée. C’est cet épais roman graphique de 110 planches qu’édite aujourd’hui Futuropolis ; une histoire du film, complémentaire et pas vraiment accessoire, qui adopte une forme narrative documentaire. Le dessinateur Maël, qui a déjà intensément travaillé sur la Grande Guerre aux côtés de Kris (4 tomes de Notre mère la guerre) se révèle sans doute le meilleur partenaire possible pour cet exercice. Par un jeu de séquences entremêlées, Maël montre Morel en reportage, qui passe d’un vétéran à l’autre, qui rencontre, discute, interroge, synthétise ce qu’il ressent et comprend des traumas. Par le truchement du dessin extrapolé de Maël, chaque vétéran « diffuse » aussi sa meurtrissure passé et dévoile avec pondération son trouble présent. Beaucoup a déjà été dit sur les guerres en général, et les populations s’interrogent notamment souvent sur leurs nécessités. Néanmoins, après avoir lu ce bouquin, vous n’aurez sans doute plus la même vision de la guerre…