L'histoire :
Ce matin là, Emmanuel Lepage est sur le point de partir en vacances en famille, lorsqu’il reçoit un coup de fil de son frère François, photographe de métier. Celui-ci lui propose un voyage vers les TAAF, les Terres Australes et Antarctiques Françaises. Il a une demi-heure pour se décider. Lepage, auteur de BD de profession, en profitera pour raconter, à travers son art, l’histoire de la « rotation australe » vécue 3 à 4 fois l’an par des centaines de scientifiques et techniciens sur l’archipel de Crozet, les îles d’Amsterdam, Saint Paul et bien sûr les Kerguelen. Il connaît certes la rigueur extrême du climat entre les quarantième et cinquantième parallèles ; mais de tempérament romantique, il rêve depuis son enfance de ces paysages dantesques. Il accepte, évidemment, sans trop y croire. Son voyage commence réellement à partir de Saint-Denis de la Réunion, où il embarque sur le Marion Dufresne, le navire subantarctique spécialement conçu pour ces missions, le cordon ombilical de ces îles pour le reste du monde. Le climat social est nébuleux, une grève empêche le navire de partir. Le temps que ça se tasse, il fera une excursion de « nettoyage » sur l’île Tromelin, un minuscule banc de sable d’1km² au nord de la Réunion, qui abrite une station météo. Son carton à dessin chevillé au corps, Lepage croque tout ce qu’il voit et raconte l’histoire des lieux, des espèces et des gens qu’il rencontre…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cet épais et luxueux ouvrage est la résultante d’une expérience de vie extraordinaire : l’opportunité qui fut offerte à l’auteur Emmanuel Lepage de participer à une « rotation australe ». Trois à quatre fois par an, ces expéditions ont pour objectif de ravitailler les TAAF (les Terres Australes et Antarctiques Françaises) et de renouveler le personnel en place. Evidemment, un auteur de BD dans un microcosme d’ordinaire réservé aux scientifiques et aux techniciens, ça interpelle ! Lepage se positionne et se définit donc ici comme un « passeur », c'est-à-dire celui qui transmet la valeur scientifique, écologique et humaine qui émane des lieux. Scientifiquement et humainement, il y a en effet tellement à dire… Le dévouement des techniciens qui manœuvrent au péril de leur vie, dans des conditions extrêmes ; les conséquences désastreuses du réchauffement climatique (le glacier Cook recule de 12m par an !) ; l’équilibre précaire de toute chose (le ravitaillement de légumes congelés) ; les problèmes liés à l’introduction artificielle de certaines espèces animales (les chats sensés chasser les rats se sont mis à bouffer les oiseaux protégés) ou invertébrées (la production légumière sous serre y est interdite, car elle induit nombres d’insectes parasites). Le biotope local est en effet constitué d’espèces souvent endémiques, dont l’harmonie est précieuse ! Suivant le principe du carnet de voyage, la plupart des croquis ont été effectués par le dessinateur sur place, sur le vif, en mars et avril 2010, pour bénéficier après coup, « en studio », du traitement narratif idoine à rythmer le périple sous forme séquentielle. Lepage s’émerveille aussi des espèces curieuses : éléphants de mer aux masses improbables, colonies de manchots innombrables, et la célèbre mouche dépourvue d’aile (vu la force du vent, elles leur seraient inutiles)… Il transmet aussi simplement la beauté des paysages sauvages et décharnés ; la notion du temps à reconcevoir quand on participe à un voyage aussi long, uniquement possible par voie maritime ; le catalogue des compétences et des personnalités des acteurs qui cohabitent en ces périmètres étriqués… Sans oublier de raconter l’histoire tragique de Kerguelen, marin originaire de Saint-Malo et découvreur déçu de cet archipel qu’il espérait (à tord) prospère. Ce carnet de voyage didactique et magnifique a de quoi émouvoir aussi bien les amateurs de grands voyages que ceux adeptes de vacances clubbing au bord d’une piscine ensoleillée. Un bel exemple de transmission, particulièrement approprié s’agissant de lieux rares…