L'histoire :
Cambodge, 1975. Les Khmers Rouges ont fait tomber Phnom Penh. Ils forcent les habitants à quitter la ville, les précipitant sur les routes sans qu’ils ne sachent vraiment où aller. C’est le cas des familles de Lina et Khim qui doivent abandonner tous leurs biens pour fuir immédiatement. Le chemin est difficile, mais peu à peu l’entraide et le sens de la débrouillardise permettent à chacun de suivre son chemin. Lina, aidée de son époux, Khim (qui est médecin), met au monde le petit Chan pendant cette drôle d’aventure. La vie s’organise bientôt autour de l’idée de rejoindre la frontière Thaïlandaise. Mais en tentant de la franchir, les familles sont arrêtées puis déportées dans des villages afin d’être rééduquées. Ainsi à Roneam, Khim, Lina et le petit Chan subissent un endoctrinement quotidien. Réunis par des Khmers, ils les écoutent renier toute forme de technologie, tout diplôme pour un retour à l’essentiel : la campagne pour école ; la terre pour papier et la charrue pour stylo. L’Histoire sera désormais écrite en labourant... Le principal pour les auditeurs est d’accepter sans broncher ces nouvelles théories. Et surtout ne pas montrer la moindre once de connaissance en échappant aux nombreux pièges qui sont tendus. Pas question ainsi de montrer qu’on peut lire le français, au risque de se retrouver au fond d’un trou…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Six mois ont passé depuis la chute de Phnom Penh et l’exode forcé des familles de Khim et Lina. Arrêtés par la milice Khmère rouge, les uns et les autres se retrouvent déportés dans des villages pour être rééduqués selon les principes d’Angkar (Parti Communiste du Cambodge)… Le premier tome de la trilogie plantait très copieusement le contexte du récit : présentation des protagonistes-témoins, premiers douloureux effets de la prise du pouvoir par les Khmers ou premières mise en place des mécanismes de survie pendant cette fuite sans point de chute connu. Dans ce deuxième tome, l'auteur Tian passe à la vitesse supérieure. Au rythme d’un véritable reportage in vivo dans lequel fiction, histoire « personnelle » et Histoire s’entrelacent subtilement, cette deuxième partie égraine page à page la violence brutale ou plus diffuse de la dictature effrayante qui s’installe peu à peu. Exécutions sommaires, stratégies pour débusquer « l’élite » intellectuelle ou militaire, mécanismes pour briser l’individu, destruction de l’autorité parentale, privations gratuites tous azimuts ou refus de toute forme de modernité, cimentent le quotidien de ce peuple lavé, broyé par un pouvoir se refusant à tout compromis. La force du récit de Tian tient dans son incroyable capacité à transmettre le témoignage de ses proches : toujours en parfaite adéquation avec l’Histoire et créant un rapport intime, subtilement empathique ou émouvant avec un panel de protagonistes grappillant pas à pas le statut de héros (par unique instinct de survie). Ainsi la narration n’est jamais laborieuse, ennuyante et toujours guidée par la très intelligente volonté de nous tenir en haleine de cette tragique destinée. On tremble pour les uns. On s’impatiente de cracher sur les autres et l’on trempe la narine avec stupeur dans une réalité pas si éloignée que ça. Bref, une vraie réussite, soutenue par un dessin tatouant de l’émotion. Donnant en tout cas très envie de suivre une troisième et dernière fois cette plongée dans le destin d’une famille ballottée par les mouvements de l’Histoire.