L'histoire :
Le Bouncer est affalé à une table de poker, imbibé d’alcool car en veine, ce soir-là. On vient pourtant le déranger de toute urgence : un drame vient de se produire à l’Infierno saloon. Son amie la squaw Sakayawea, enceinte, a été assassinée ; et son époux Job, le barman nain, est méchamment blessé. A cette terrible nouvelle, Bouncer titubant se fait porter jusqu’à l’Infierno pour en apprendre plus de la bouche du shérif. De nombreux témoins ont assisté à la scène : le tueur est Pretty John, le fils dégénéré du directeur du pénitencier de Deep-End. On lui relate qu’il vient de faire étape à Barro-City, en compagnie de 3 matons molosses, pour y récupérer un prisonnier. Lors de sa pause au saloon, Pretty John a publiquement fouetté des putes, contre quelques billets, pour satisfaire son bon plaisir. Sakayawea a eu le tort d’intervenir pour faire cesser cette cruelle humiliation. Une altercation s’est ensuivie… Elle l’a payé de sa vie et son époux a récolté 3 pruneaux. Pretty John est aussitôt reparti pour Deep-End, en compagnie de ses hommes et de son prisonnier. Le Bouncer demande aussitôt au shérif d’être mandaté pour poursuivre et cueillir l’assassin à Deep End. Il veut le ramener à Barro-City pour qu’il y soit jugé et condamné. Le maire lui fait alors une triple mise en garde : Ugly John, le père de Pretty John, est un homme redoutable ; le pénitencier est un ramassis de fripouilles de la pire espèce ; son accès est peu aisé, surtout en cette période hivernale. Mais le Bouncer est déterminé à ce que justice soit rendu à ses amis… il va vite le regretter.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Bouncer s’empare du créneau du western violent et réaliste laissé vacant par l’arrêt de Blueberry. Cet héritage semble d’ailleurs bien naturel, étant donné que Jean Giraud est involontairement à l’origine de la création du Bouncer. A la fin des années 90, Giraud avait en effet proposé à François Boucq de dessiner un Blueberry « vieux »… et l’héritier de Charlier avait refusé ; Jodorowsky n’avait plus eu qu’à surfer sur un désir créé. Pour fêter le nouveau cycle et la transhumance en provenance des Humanoïdes Associés vers Glénat, le Bouncer repart bien fort dans la sauvagerie et l’horreur. Un premier flash-forward montre le Bouncer en fâcheuse posture, dans une gorge enneigée poursuivi par des loups, histoire de ferrer irréversiblement le lecteur. Puis, en un meurtre et un flashback, la problématique s’impose rapidement au Bouncer : il doit rendre justice à ses amis et aller chercher un meurtrier au fin-fond de l’enfer. Comme sait le concevoir le scénariste Alejandro Jodorowsky, cet enfer est ultime et rocambolesque à souhait. Il s’agit d’un vaste pénitencier perdu au fin fond des Rocheuses, où tout sens moral est inversé : les dirigeants sont des crapules qui torturent et assassinent sans scrupule tout honnête cow-boy qui oserait les déranger. Par exemple, dans la ville « civilisée » la plus proche, lorsqu’on tue en état de légitime défense, on paye sa tournée générale ! Jodo’ n’oublie pas la thématique des difformités humaines, omniprésente dans la série : le héros Bouncer est évidemment toujours manchot, son ami Job, barman et victime, est un nain et le meurtrier dégénéré est bossu. Plus on avance dans l’album et plus on s’enfonce dans l’ignominie. Les « méchants » atteignent des sommets de cruauté, limite improbable. L’ensemble est orchestré par la maestria graphique de François Boucq, qui livre comme à chaque fois une symphonie impeccablement exécutée de sales bobines, de décors majestueux et de mises en scène inventives. Egalement cruels avec le lecteur, les auteurs abandonnent le Bouncer dans une mouise abominable, dont il tentera de s’extirper au tome 9…