L'histoire :
Medellin, aujourd’hui. Joàn, 10 ans, fait partie de ces enfants livrés à eux-mêmes, sillonnant les rues avec un sac plastique rempli de colle scotché au nez. Sa mère, contrainte de sortir chaque soir pour un travail que le jeune garçon préfère ignorer, lutte pour survivre. Miguel Santos, un syndicaliste passionné, tend la main à Joan, qui rêve de faire de cet homme son père. Mais l’hésitation de Santos ouvre sans le savoir une brèche dans laquelle s’engouffrent les hommes du « cartelito ». Ernesto, un des lieutenants de Raul Mendez, confie à Joan un gros calibre et une liasse de billets. Sa première mission est l’exécution de Santos, dont l’action syndicale gêne les affaires du cartel. Joan accepte et, sans l’ombre d’un remord, accomplit son contrat. Un assassin est né, formé aussi bien au maniement des armes qu’au savoir des mots. Rapidement, il grimpe les échelons et, à 17 ans, se voit confier la tâche de recruter des sicaires dans les barillos pour renforcer la puissance du clan Mendez. À la tête d’une véritable armée, il règne sur la rue. Cependant, Joan conserve une part d’humanité, nourrie par les lettres qu’il envoie à sa mère, partie à Bogota, et son amour pour Mercedes, la sœur de son partenaire Emiliano. Mais cette fragile lumière vacille : il finit par exécuter sa mère, prostituée malgré elle, et perd Mercedes, qui voyait en lui un artiste. Désormais, Joan n’est plus qu’une incarnation brute et implacable de la violence, irrésistible et inarrêtable.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
D'emblée, Cuervos lance les hostilités, mêlant réalisme brut et puissance narrative. Dans ce premier tome, le tandem Richard Marazano et Michel Durand frappe fort en nous plongeant dans une Colombie sans concession, où la violence des rues est le quotidien de gamins à peine sortis de l’enfance. Joàn, anti-héros dévasté et dévastateur, est l’incarnation d’un destin brisé par la misère et le crime organisé. Ce personnage, à la fois glaçant et fascinant, traverse le récit comme un corbeau planant au-dessus d’un champ de ruines. On le suit dans une quête effrénée de reconnaissance, où tout semble le conduire à sa propre destruction. La plume de Marazano, empreinte d’un réalisme cru et sans fioritures, capte avec intensité l’essence de ce monde impitoyable. Graphiquement, Michel Durand sublime cette noirceur par un traitement visuel audacieux. Ses cadrages, qui évoquent un « caméra-épaule » de cinéma, déstabilisent autant qu’ils captivent. Les plongées et contre-plongées, multipliées à dessein, donnent une impression de surveillance constante, renforçant l’inhumanité du récit. Le choix de couleurs ternes et d’une ligne parfois brute ajoute une couche supplémentaire de malaise. Ce n’est pas un dessin qui cherche le spectaculaire, mais qui sert le propos, avec une efficacité redoutable.