L'histoire :
Victor est revenu brisé de la première guerre mondiale. Il porte un masque pour cacher son visage brûlé par les éclats d’une bombe. Malgré cela, toute sa haine est dirigée vers ceux qui semblent mettre en péril l’ordre établi, et notamment les surréalistes. Invité en 1929 à une fête organisée par la Comtesse de Noailles, Marie-Laure, Victor y fait la connaissance de trois personnes hors du commun : Jean Cocteau, Salvador Dali et Luis Bunuel. Ces deux derniers se sont taillé une petite réputation en réalisant un film intitulé Le Chien Andalou, dans lequel l’œil d’une femme est coupé au rasoir… Ils sont à la recherche de mécènes pour tourner la suite de ce chef d’œuvre de subversion. La fête des matières organisée par Marie-Laure de Noailles est décadente : un des convives insulte le préfet de Paris, Chiappe, et Nathalie, la compagne de Cocteau, rivalise d’humour et de culture sous les yeux jaloux de la maîtresse de maison, et sous le regard haineux de Victor, qui se lie d’amitié avec Marie-Laure. Au bout de la nuit, alors que Dali et Bunuel s’amusent à ridiculiser Cocteau, Victor va faire son rapport à la préfecture…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ça commence comme une histoire d’espionnage, assez banale. Pourtant, les forces en présence ne le sont pas. On parle des artistes qui ont révolutionné le monde entre les deux guerres. Il y a là le poète, dramaturge et cinéaste Jean Cocteau, qui n’a pas encore commencé sa deuxième carrière, mais qui est déjà reconnu ; Dali, dont la carrière a explosé grâce au Chien Andalou et qui va atteindre des sommets grâce à sa rencontre avec Gala ; il y a enfin Luis Bunuel, dont l’obsession à tourner une suite au Chien Andalou tient lieu de fil rouge pour l’infiltré, et de titre pour le diptyque. Victor, une « gueule cassée » de la première guerre mondiale, est défiguré à cause d’un éclat d’obus. Il se cache derrière un masque, symbole visible de son rôle d’espion. Fasciste, anticommuniste, antisémite, il sert le préfet de Paris avec zèle et complote pour faire tomber les surréalistes. Il est censé prouver qu’ils veulent attenter à la sécurité de la France et aux bonnes mœurs, ce qui semble effectivement leur ambition (pour les bonnes mœurs en tout cas). Les surréalistes veulent secouer le cocotier, et ça inquiète en haut lieu. Pour un premier scénar de BD, le romancier Lancelot Hamelin frappe fort, tant son sujet est intéressant, son récit haletant et ses personnages parfaitement caractérisés. Cocteau, Nathalie, Marie-Laure, Bunuel, Dali et Victor sont tour à tour dépeints avec une grande efficacité qui amène le lecteur à se sentir membre à part entière de cette hétéroclite petite bande. L’ambiance graphique créée par Luca Erbetta (Roma, Alter Ego…) est saisissante. On est à la fin des années folles, Wall Street s’écroule, et les couleurs du dessinateur sont travaillées pour tour à tour faire sentir la lourdeur d’un ambiance surfaite comme à la fête des matières, en dégradés de jaune… Son trait est fin, précis et réaliste pour ce qui concerne les personnages, ce qui contraste avec les décors et paysages, à la fois plus colorés mais plus naïfs. Le tout est extrêmement agréable à lire, d’autant que le premier tome de ce diptyque se termine sur un suspense insoutenable, une tourmente absolue. A quand la suite et fin ?